Attendu de pied ferme par les fans du cinéaste Lucio Fulci, le retour en grâce de Perversion Story, projeté en salles dans le cadre d'une rétrospective Lucio Fulci Poète du macabre en 2019 puis distribué sous la forme d'un premier Bluray en tirage trop limité en avril 2020, permet effectivement d'observer le point pivot d'un cinéma élégant, mais déjà contaminé par la mort.
En 1969 Lucio Fulci est depuis longtemps déjà un artisan largement installé et apprécié dans l'industrie italienne, mais essentiellement pour ses grosses comédies plus ou moins lourdes, plus ou moins sexy, mais en tout cas purement italiennes. Et Perversion Story tranche drastiquement avec cette première partie de carrière en se rapprochant dangereusement des thrillers italiesn de l'époque, giallo de première génération encore très proche du Krimi allemand. Fulci y concocte un complot machiavélique avec son coscénariste Roberto Gianviti qui restera présent sur les variations du genre suivantes : Le Venin de la peur, La Longue Nuit de l'exorcisme et L'Emmurée vivante. Une sombre histoire d'argent, d'héritage et de couple infidèle (comme toujours), qui laisse la police à la traîne (comme toujours) et va s'efforcer de brouiller les pistes pour pousser le bouc émissaire, charismatique Jean Sorel, vers l'inextricable. Les indices, fausses pistes et les twists bien osés sont ici savamment dosés, mais c'est bien entendu moins l'enquête proprement dite que l'absolue sensation de mystère qui fait de Perversion Story un exercice assez fascinant. Largement inspiré par le Vertigo d'Alfred Hitchcock, le film en reprend le cadre, San Francisco, et le jeu sur la femme double, pour pousser plus loin encore les troubles du personnage masculin.
Bien plus passif que le personnage incarné par James Stewart, celui d'Alain Sorel, mari infidèle et intéressé, se fait littéralement dévorer par ses propres pulsions amorales, et en particulier une nécrophilie qui n'a plus rien de latente. Sublime séquence où il s'approche de cette strip-teaseuse vulgaire à l'étrange ressemblance avec sa femme décédée, dont il fait rejaillir l'image mortuaire en plein acte. Une image d'autant plus forte que Perversion Story fut tourné l'année même du décès de l'épouse de Lucio Fulci. De quoi expliciter aussi cette propension encore inédite à la morbidité plein cadre, lorsque le visage du cadavre décomposé de l'épouse apparaît en insert, ou morale, lorsque le métrage prend sadiquement le temps de montrer le cérémonial et le décor d'une véritable exécution capitale. Un final sous tension, mais trompeur, qui réunit d'ailleurs les deux grandes aspirations du film, cette nouvelle voie vers laquelle le cinéma de Fulci va s'engouffrer (suivra directement le ténébreux Beatrice Cenci) à la stylisation à la fois plus brute et plus discrète, et une sophistication méticuleuse encore très marquée par les modèles américains. Una sull'altra (ou "L'Une sur l'autre", titre italien pratiquant lui aussi le double sens) est structuré de cadres ciselés, ultra (dé)composés, déformés même et souvent symboliques que viennent régulièrement perturber des fulgurances érotiques où la camera réussit même à s'insinuer sous le lit et filmer les amants à travers celui-ci. Et Riz Ortolani oscille entre les compositions jazzy, presque rétro, et le lounge psychédélique comme pour faire le lien lui aussi entre la retenue de Vertigo et le souffre soulevé par Perversion Story.




