C'est une vraie curiosité que cette Etreinte du destin. Sous ces atours de série B classique se révèle en effet un western qui n'en est pas vraiment un. Une chronique provinciale pleine de belles intentions mais noyée sous un assommant déluge de bigoterie.
Au lendemain de la guerre de sécession, Luke Fargo rejoint son village du Sud. Problème, il a combattu au côté des troupes du Nord. Devenu paria, Luke est pris en grippe par la communauté qui hier encore le respectait. Pourtant le seul souhait de ce petit agneau est... de devenir pasteur. On est un peu taquin (et on va être un peu sévère) mais il nous faut reconnaître que le film démarre formidablement bien. Le retour du héros (la belle gueule cassée Van Heflin) est scandé par de vraies intentions de mise en scène. Fargo va ainsi retrouver sa maison brûlée, manière pour le réalisateur George Sherman de figurer à la fois le mépris dont il est victime, le nouveau départ qu'il doit prendre et son chemin de croix à venir. Dépossédé de ses biens, Luke se traîne avec son uniforme militaire nordiste, symbole de son trauma de soldat et d'une nouvelle identité qui lui colle à la peau. Le tout est filmé dans un Cinemascope très bien maîtrisé, qui met en valeur avec beaucoup de finesse les extérieurs du Sud. Une prouesse quand on sait que le format n'en est qu'à ses balbutiements (il fut créé en 1953, deux années auparavant).
Très vite retranché dans une bicoque qu'il partage avec une jeune orpheline qu'il va prendre sous son aile (Joanne Woodward, dans son premier rôle au cinéma), Fargo va tant bien que mal essayer de résister aux démons du passé et de construire une église pour pouvoir prêcher. C'est là que le bât blesse. Non pas que le sujet de la rédemption par la foi soit mauvais en soi. Mais la place centrale de la religion dans le récit, traitée au premier degré et sans aucune complexité, provoque un ennui certain et annihile toute audace narrative. Ainsi, une fois les enjeux posés et les personnages définis (n'oublions pas de citer le méchant et patibulaire Raymond Burr), le long-métrage fait du surplace. Problématique pour un film qui s'étire sur une longue heure quarante-deux, là où George Sherman a souvent officié dans des récits de série B secs qui ne dépassaient pas l'heure trente. Le spectateur à l'esprit un peu tordu trouvera même le temps de laisser son esprit vagabonder et former des scénarios rêvés, fantasmant que le plan de Luke Fargo ne soit en fait qu'une ruse. Que devenir pasteur soit pour lui le moyen de spolier par vengeance les habitants de ce village qui n'ont pour lui que mépris. Mais, las, le héros est un bon samaritain, et il passe une bonne partie du film à tendre la joue. Le métrage s'égare même dans un humour des plus douteux et s'autorise, entre autres joyeusetés du même acabit, une blague bien lourde sur les violences faites aux femmes. Même pour un film de 1955, ça craint.
Saluons malgré tout l'indispensable travail de patrimoine de Sidonis Calysta, qui continue avec une fréquence d'horloger à sortir dans de très belles copies des westerns de l'âge d'or, dont certains totalement oubliés. C'est le cas ici, le film n'ayant jamais eu les honneurs d'une sortie en France, que ce soit en salle ou en vidéo. On peut le comprendre, tant la thématique religieuse, qui plus est assénée avec cette lourdeur, semble éloignée de notre conception du genre.



