Aujourd'hui boudé par ceux qui étaient même ses plus fidèles supporters, Alex Proyas est passé de nouvelle espoir du cinéma dans les années 90 à une place assez injuste d'has-been du divertissement kitch. On ne refera pas ici la défense des commandes I Robot, Prédictions et Gods of Egypt, mais l'opportunité faite par la diffusion très tardive en France de son premier film permet d'une certaine manière de remettre quelques pendules à l'heure.
​Rapidement enfermé dans une case qui répondrait au « comic-book gothique » symbolisé par The Crow et Dark City (ses deux chefs-d'œuvre soit), le cinéma d'Alex Proyas a toujours été loin de ne se résumer qu'à cela. L'énergique chronique musicale de Garage Days (opus australien inédit en France là aussi) et surtout le premier Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds donnent à voir un autre visage. Celui d'un metteur en scène, célébré pour ses clips MTV et ses pubs léchées, qui travaille dans son pays d'origine un cinéma beaucoup plus personnel, intimiste et expérimental. Cela ne veut pas dire austère loin de là. Essentiellement financé par ses propres économies à la fin des années 80, Spirits of the Air fait partie de ces projets dont la faim créatrice, le besoin d'explorer et de construire frappe comme une évidence à chaque plan. Baigné dans des mélodies planantes et presque conceptuelles signées Peter Miller (aujourd'hui plutôt connu comme sound designer), l'objet est une nouvelle vision d'un post-apocalyptique à l'australienne. Le paysage infini et incroyablement plat où apparaissent quelques silhouettes, l'opposition constante entre l'ocre du sol et le bleu éclatant du ciel, le vent qui vient frapper quelques restes d'une civilisation réduite à des épaves mécaniques plantées dans le sol ou des crucifix érigés à un dieux perdu...
La réalité du continent offre de belles bases, comme l'a prouvé la saga Mad Max, mais Proyas la sculpte plus encore cristallisant une photographie d'une richesse époustouflante, et retrouvant par ses élans westerns et la minutie maniaque de ses cadrages au format 4/3, l'orfèvrerie des meilleurs opus de John Ford. Là où d'autres pouvaient emballer ce type de démarche dans une surabondance d'effets (montage, surimpressions, déformations...), ici c'est pourtant la fluidité, une certaine simplicité, qui permet d'approcher une grande pureté des lignes et des matières, tout en laissant l'espace à ses trois personnages d'évoluer et de cultiver leurs bizarreries. Il est bien question d'un ailleurs, de traverser sur un engin volant des montagnes inaccessibles pour atteindre un paradis perdu façon Waterworld, mais les échanges redondants, appuyés sur une symbolique presque naïve autour de l'imagerie du mal, est surtout un moyen d'étudier les errances de trois êtres déphasés, figurines lynchiennes, maladroites et dérangées, qui malgré l'onirisme et les envolées lyriques resteront vissées a leurs propres trajectoires. Le frère et la sœur répéteront leur statu quo autarcique dans leurs cabane de bric-et-de-broc et le visiteur solitaire reprendra sa route. Hermétique parfois, mais toujours fascinant Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds était un premier essai plus que prometteur où le génie visuel d'Alex Proyas était déjà un évidence.



