Consacré grand maître du cinéma gore et du macabre, Lucio Fulci a toujours eu beaucoup plus de mal à imposer après coup ses réalisations éloignées du cinéma purement horrifique. Tourné dans la dernière partie de sa carrière, bien moins glorieuse, l'érotique Le Miel du diable est sans doute son ultime sursaut artistique.
Tombé gravement malade après le tournage de Murderock (dont la ressortie est toujours attendue), multipliant les pathologies et les hospitalisations, Lucio Fulci est encore très affaibli deux ans plus tard lorsque le producteur Vincenzo Salviani (Milan Calibre 9) lui propose de mettre en image Le Miel du diable, scénario sulfureux surfant toujours bien entendu sur la vague du soft porn européen lancé par le fameux Emmanuelle. D'ailleurs la présence en tête d'affiche de la Corinne Cléry d'Histoire d'O est largement mise en avant même si en définitive son rôle est assez secondaire. Si Lucio Fulci a déjà manié la nudité et l'érotisme soft dans des comédies comme Obsédée malgré lui ou les giallo Perversion Story et Le Venin de la peur, celle-ci n'a jamais été la composante principale de l'objet ni même véritablement sublimée par un auteur bien plus obsédé par la décomposition (des sens et des corps). Au premier abord, Le Miel du diable semble en effet très loin de ses univers habituel et les premières minutes du film provoque encore et toujours un vrai choc esthétique auprès des fans, heurtés par ces airs de roman photo du pauvre. Fringues, permanentes et flous on ne peut plus 80's sont baignées dans une mélodie d'ascenseur déjà irritante digne d'un téléfilm vaguement cul interprété par des bellâtres et des pinups fadasses... Le déclin, que dis-je la chute, est déjà engagée ?
Mais malgré la commande, la petitesse du budget et effectivement un casting pas franchement à la hauteur (seul le vétéran Brett Halsey tire son épingle du jeu), le metteur en scène s'impose très rapidement, détournant le genre comme il sait si bien le faire, pour l'embarquer vers des rives beaucoup moins confortables. Le jeu des regards entre les deux jeunes amants, brûlants de désirs, se transforme ici presque immédiatement en jeu de domination. D'humiliation même puisque le saxophoniste vient livrer sa performance, l'instrument contre le sexe de sa « victime » lui procurant un plaisir à la hauteur de sa gène et de son avilissement. La réalité est toujours plus triste que le fantasme, et Fulci ne cesse de le rappeler dans des flash-backs sordides ou lorsque Johnny (Stefano Madia) oblige la jolie Jessica (Blanca Marsillach) à accepter un acte anal, montrant à l'image un plaisir consentis, graphiquement orchestré, alors que la bande son est noyée sous les cris de douleurs et de refus... Et les aboiement du berger allemand qui tente d'enfoncer la porte de la demeure comme dans un cauchemar gothique. Des pratiques de film d'horreur qui viennent se plaquer sur une sexualité déviante, perverse, violente, intensément triste, voir pauvre et glaciale chez le couple d'âge mur interprété par Corinne Cléry et Brett Halsey. C'est la mort de Johnny et l'incapacité à le sauver du Dr incarné par ce dernier qui provoque la rencontre entre cette jeune femme happée par la folie et un homme perdu dans l'apathie. Une séquestration, de tortures en humiliations, naît pourtant une histoire d'amour sadomasochiste déroutante où l'un sert d'exutoire de plus en plus consentant aux démons de l'autre. Profondément malaisant, jamais excitant, mais fascinant dans cette exploration frontale d'une romance des plus dysfonctionnelles, d'une sexualité mortifère que Fulci estime vouée à l'auto-destruction, Le Miel du diable est une œuvre incandescente par les deux bouts.



