Réalisateur de Jeu de massacre, Traitement de choc et Armaguedon, Alain Jessua clos ses années 70, les plus fertiles, avec Les Chiens nouvelle exploration acerbe du délitement de la société et de la déshumanisation organisée. Un film froid et enragé qui enfonce ses crocs toujours aussi profondément.
Même si ces années là étaient plus verdoyantes pour le cinéma populaire français, capable d'aborder de vrais sujets de société ou des questions politiques sans se perdre dans les postures auteurisante, Alain Jessua reste une figure à part. Un cinéaste qui prend un malin plaisir à mettre systématiquement le doigt là où ça fait mal, que ce soit la recherche de la jeunesse éternelle au détriment du reste du monde, le contrôle abrutissant par l'omniprésence des mass media et plus généralement une fracture sociale écrasant les classes moyennes et ouvrières. Surtout, il le fait toujours avec une certaine forme de prescience, soulignant le détail près à vriller, à faire exploser la vitrine, faussée, d'une société qui se croit progressive et bienveillante. Dans Les Chiens, cet ingrédient qui transforme peu à peu le microcosme présenté en authentique cauchemar d'anticipation est ce brave canidé. C'est ce que découvre progressivement le spectateur, observant la multiplication des chiens de garde accompagnant leurs maitres dans tous les plans, ou le brave docteur de banlieue Henri Ferest (Victor Lanoux, sobre témoin), s'étonnant des nombreux cas, presque surréalistes, de morsure dans la commune. Ce qui commence comme une information saugrenue et restera presque un éléments fantastique, quelque part entre le film d'invasion et celui de contamination (digne de L'Invasion des profanateurs), est surtout un moyen pour Jessua d'étudier, tel un sociologue infiltré, les mécanismes dévastateur de cette peur primaire, et malheureusement toujours contemporaine, de l'autre.
La peur d'une agression le soir en rentrant chez soi, d'un cambriolage, d'une délinquance violente... Certes, mais surtout une crainte de celui qui n'est pas exactement conforme aux code de la communauté : les étrangers, les jeunes, les noirs (ici soumis à un couvre-feu pour leur propre bien), puis rapidement bien entendu celui qui est suspect, curieux, trop libre.... La xénophobie dans sa logique absurde, destructrice, malade qui transforme celui qui se croyait victime en bourreau, en maitre chien et, ironie, en maillon d'une meute grognant et dévorant son prochain. Tourné dans les rues de la ville nouvelle Marne-la-vallée alors tout juste sortie de terre, neuve et vide, Les Chiens fait alors contraster ce décors quasi futuriste avec la bestialité enfouis qui semble effriter la raison de l'homme moderne. Si on peut reconnaître que parfois le métrage semble un peu pauvre ou étriqué dans sa mise en scène, en particulier lors d'une poursuite peu mémorable en Peugeot 504, il se montre des plus percutants lorsqu'il donne corps aux pulsions qui animent les personnages. En particulier le dresseur de chien / gourou incarné par un Gerard Depardieu à la fois suave et inquiétant, montrant une passion loin d'être saine envers sa compagne à quatre pattes, s'embarquant même dans une balade le long de la rivière aux flouté et aux ralentis très hamiltonien. On en sera même quitte pour une séquence d'entraînement à l'attaque avec la bête à poils de Nicole Calfan se transformant en coït animal à grands coups de râles et de crispation extatiques.
Un film trouble et assez brillant, voir visionnaire, dont l'ultime qualité est de ne jamais tomber dans un fantastique trop délirant, préférant conserver une photographie presque naturaliste et des airs de drame social, ou de se clore par une solution bénigne et positive. Les Chiens ne s'achève pas vraiment, annonçant sans le savoir quelques faits divers qui frapperont les banlieue 10-15 ans plus tard, ou le replis ultra-sécuritaire que certains voudraient nous imposer aujourd'hui.



