Lui est dépressif et fasciné par la mort, elle a 80 ans et a un sacré pète au casque, pourtant leur love story vaut bien celle de... Love Story. Un petit pied-de-nez du futur réalisateur de La Dernière Corvée et Shampoo, à un tabou qui, mine de rien, à la dent dure.
Depuis adapté en roman, et en pièce de théâtre en France où le film a immédiatement joui d'une jolie reconnaissance, Harold et Maude aura dû attendre un lent bouche à oreille pour se faire connaitre aux Etats-Unis. Si aujourd'hui les spécialistes classe le film parmi les premiers jalons du fameux Nouvel Hollywood, à l'époque dans l'Amérique de Nixon personne, ou presque, ne veut entendre parler de cette romance entre un jeune homme de vingt ans et une femme qui à l'âge d'être sa grand-mère. Surtout que Maude n'a rien de la Milf sexy croisée dans Le Lauréat ou Un été 42, mais affirme largement son âge et son passé. Cette crispation est parfaitement évoquée dans le film lorsque Harold annonce à sa mère qu'il a l'intention de se marier et que celle-ci fait appelle à trois figures d'autorité masculine, représentant au passage des verrou de la société US : le psychiatre, l'oncle militaire et le curé, qui ne cachent pas leur dégoût pour le corps fripé de la dame. Symbolique, mais aussi hautement réjouissant, à l'image de l'entièreté du film qui joue sur la corde sensible de la comédie douce amère, de l'évocation sentimentale qui s'entremêlent avec la radioscopie de son temps.
Une approche qu'Ashby reproduira quatre ans plus tard avec Shampoo, mais qu'il dote ici d'une étrangeté plus poussée, d'une mélancolie poétique des plus touchantes. Avec son teint blafard, son œil morne, ses airs constamment déplacés et sa dégaine de croquemort, Harold a tout du anti-héros burtonnien avant l'heure, fasciné qu'il est en outre par la mort. Une passion qui l'amène à se lancer dans d'énormes canulars hilarants où il simule des suicides spectaculaires devant une mère impassible et blasée, ou à se rendre aux enterrements d'inconnus, où il va finir par croiser la fameuse Maude. Elle aussi aime ces instants solennels mais plus pour s'en moquer et affirmer cette vie qui déborde encore dans son esprit farfelu. Une mamie excentrique, ancienne combattante politique, survivante des camps de la mort (un plan seulement pour l'évoquer, magnifique de sobriété), libérant les arbres malade de la ville, conduisant comme une reprise de justice, et qui va illuminer le quotidien d'Harold, dépressif et mélancolique avéré. Délicat, poétique, sensible, la chronique, malgré ses touches d'humour noir féroce et son impertinence adolescente, fait parfois du sur-place, laissant se suivre les petites aventures et péripéties de ce couple hors du commun. Et il est vrai que le thème central semble moins perturbant aujourd'hui qu'il l'était en 1971. Mais glissant sur les mélodies folk de Cat Stevens, le couple, lui, résiste merveilleusement bien au temps, Bud Cort (MASH) campant avec sincérité ce portrait d'ado atypique, lunaire qui aurait trouvé sa place dans les mouvements gothiques des décennies suivantes, et surtout la malicieuse Ruth Gordon (la voisine inquiétante de Rosemary's Baby) entrainant tout sur son passage, rouleau-compresseur de bonne humeur et de tendresse qui ramène son compagnon à la vie et lui apprend la joie d'exister. Ces deux êtres là, on continuera à les aimer quoi qu'il arrive.


