03 juin 1969. Star Trek, à l'issue de son 79ème épisode, tire sa révérence. Un au revoir qui, au vu de ses dernières audiences, sonne comme un adieu. Mais Gene Roddenberry n'a pas dit son dernier mot et travaille déjà sur des téléfilms... qui ne verront jamais le jour. Loin de se décourager, il pense alors au grand écran et va cette fois réussir l'impensable en donnant à sa création le film dont il rêvait. A sa sortie, précipitée, tous ses aspects techniques ne sont même pas finalisés. Pourtant, en ralliant derrière lui les plus grands noms du Hollywood de l'époque, le film obtient rapidement une légitimité artistique inattendue. Plusieurs décennies plus tard, Star Trek, Le Film profite donc enfin du support numérique pour se montrer tel que ses créateurs, et son réalisateur en particulier, l'ont pensé.
A commencer par la grande figure présente derrière la caméra : le grand Robert Wise, qui s'est déjà frotté à tous les genres, du chef d'oeuvre musical West Side Story, au plus grand film noir Nous avons gagné ce soir. Côté science fiction, il n'en est pas non plus à son coup d'essai, après Le Jour où la Terre s'arrêta, dont les images restent parmi les plus marquantes du genre des années 50. Pour le scénario, Roddenberry fait appel à Harold Livingston, romancier de SF au passé militaire, qu'il seconde avec Alan Dean Foster, un autre romancier. Pour les effets visuels, la production se tourne vers Douglas Trumbull, pionnier du genre depuis le 2001 de Kubrick, et John Dykstra, au générique d'un phénomène sorti deux ans auparavant (un certain Star Wars). Histoire d'enfoncer le clou, Roddenberry se paie aussi le grand auteur Isaac Asimov en qualité de conseiller technique et, enfin, aux partitions, l'inévitable Jerry Goldsmith, depuis son incroyable travail sur Alien. Réunir une telle somme de talents pour ce qui ne semblait être à ce moment là que la simple adaptation d'un show TV tenait du miracle. Un miracle qui va bien avoir lieu et donner bien plus qu'une simple itération mais bel et bien l'un des plus grands films de science-fiction de tous les temps.
Dès son introduction, l'espace étoilée résonne des notes inspirées d'un Jerry Goldsmith une fois de plus au sommet de son art. Pas une mince affaire, même pour lui, quand on pense alors à la place qu'à réussi à occuper le thème d'Alexander Courage dans les chaumières américaines durant trois ans. Pourtant, le compositeur va réussir l'exploit de le faire oublier à de nombreuses reprises, et ce même s'il accompagne fidèlement les apparitions du casting original à l'écran. Car tout le monde est là, de Shatner à Nimoy en passant par la fameuse équipe multi-raciale du poste de pilotage de l'Enterprise et ses nombreux gemmicks. Un plan de la Terre, jamais vue durant la série, nous forcerait aujourd'hui à parler de fan service, mais c'est mal connaître Roddenberry et ses choix de scénaristes. Car une fois la problématique posée (un mystérieux nuage d'énergie destructrice se dirigeant vers la Terre), tout ou presque va aller à l'encontre de la construction habituelle des épisodes de la série.
En commençant par Kirk, incarnation parfaite (caricature ?) du mâle américain à la position hiérarchique puissante et sexuellement irrésistible, qui est cette fois montré sous un jour beaucoup moins honorable. Il prend ainsi le commandement du nouvel Enterprise en se moquant éperdument du jeune commandant (Stephen Collins) qui y était pourtant tout aussi légitime que lui. Et si ses membres d'équipage, qui sont aussi ses amis, sont évidemment tout acquis à sa cause, cela ne l'empêche pas de faire plusieurs erreurs d'appréciation là où son prédécesseur était lui plus avisé. Un jeune commandant que le scénario place d'ailleurs au coeur de la seule romance du film, encore une fois multi-raciale (face à lui, l'actrice indienne Persis Khambatta), étonnante et inédite. Une romance qui va réussir à s'imbriquer parfaitement avec les nombreux concepts au coeur du film.
En voulant tout à la fois livrer une suite à sa série prématurément annulée et un film de science-fiction ambitieux à l'écriture digne des plus grands noms du genre, Roddenberry avait toutes les chances de se tromper. Pourtant, à de nombreuses reprises, le film se hisse à la hauteur de ses plus glorieux contemporains. L'« overture » de Jerry Goldsmith, sans rivaliser avec Wagner, annonce le spectacle d'opéra spatial. Certains plans de vaisseaux repoussent les limites des avancées techniques de l'époque. Quant à la longue scène durant laquelle L'Enterprise part à la rencontre du mystérieux V'Ger, elle propulse le film vers de nouvelles frontières, entre voyage métaphysique s'interrogeant sur nos origines et noirceur inquiétante à l'esthétique parfois proche des travaux d'un certain H.R. Giger. Jusqu'à une ultime révélation qui finit d'extirper définitivement ce Star Trek de tout ce qui l'a précédé ou même viendra après lui, en faisant définitivement une sorte de chaînon manquant, que ce soit entre la télévision et le cinéma, la science-fiction écrite ou filmée ou même, au vu de l'identité de V'Ger, la fiction ou la réalité. Un fabuleux miracle somme d'un travail pharaonique qui ne cesse de se bonifier avec le temps.




