Réalisateur mythique de spectacle épiques et virils que sont Le Faucon Maltais, Le Trésor de la Sierra Madre, The African Queen ou L'Homme qui voulut être roi, John Huston n'était peut-être pas l'auteur le plus prévisible sur une biographie de Sigmund Freud, père de la psychanalyse. Il signe pourtant là ce qui s'apparente à son plus beau film d'aventure.
Et ce n'est même pas une commande, puisque son désir de raconter les découvertes révolutionnaires et la naissance des théories de l'inconscient date du film Let There Be Light, documentaire traitant des survivants de la Seconde Guerre Mondiale, soldats hantés par des symptômes post-traumatiques et soignés, entre autres par l'hypnose. John Huston y voit un nouveau continent à explorer, une terre méconnue, obscure, inquiétante et pleine de secrets enfouis dont il fait de Sigmund Freud le vaillant explorateur solitaire. Basé sur les deux scénarios imposants (mais infilmables dans la totalité) rédigés par Jean-Paul Sartre, voix de l'existentialisme et grand détracteur des théories freudiennes, la trame recentrée par Huston n'a donc rien du biopic bien sage venant simplement célébrer une personnalité, sommes toute en définitive bien rangée et peu passionnante. Il ny ajoute pas non plus une touche de scandale, maispréfère faire de sa quête intime et professionnelle, de sa passion pour l'esprit humain, le moteur à un authentique film à suspens, presque un polar aux accents noirs et parfois même surréaliste lorsque les rêves ou les fantasmes des patients prennent corps devant la caméra. Sans action et pourtant sans temps mort, Freud accompagne son protagoniste tout au long de son enquête, ne laisse jamais en retrait ses fausses pistes, ses erreurs, ni même ses retours en arrières où les murs de la société du 19ème siècle s'érige face à lui et sa mise en avant de l'existence d'une « sexualité » enfantine.
Les premières expériences sur l'hypnose, sa première intuition de ce qui deviendra le Complexe d'Œdipe, sa mise en place progressive et délicate des dispositifs de la psychanalyse où la parole se libère parfois malgré elle, sa compréhension profonde et fascinantes des névroses fondatrices qui vont venir éclairer ses propres dérèglements, sont capté avec une justesse et une finesse incroyable par un John Huston particulièrement inspiré. Si bien entendu les mises en images des songes et des désirs inconscients des personnages sont les passages le plus spectaculaires, s'accoquinant avec le fantastique, le surréalisme plus esthétisant et l'allégorique (on pense forcément aux scènes équivalentes de La Maison du docteur Edwards d'Hitchcock en collaboration avec Dali) l'ensemble des plans sont savamment construits pour venir apporter une pierre à l'édifice, jouant de silhouettes laissées dans l'arrière-plans ou le flou, de détails marqués par de très gros plans, par des compositions qui tiraillent littéralement la psyché des personnages. Le noir et blanc atmosphérique et parfois inquiétant du chef opérateur Douglas Slocombe (The Servant, Le Bal des vampires, Les Aventuriers de l'arche perdu) est tout simplement sublime, alors que l'immense Jerry Goldsmith travaille une bande sonore mélancolique et énigmatique dont certains échos presque synthétiques seront directement repris pour son futur Alien.
Une expérience esthétique, intellectuelle, historique mais aussi passionnelle transposée à merveille par l'interprétation constamment ambiguë, séductrice, enfantine, tourmentée et fuyante, de Susannah York en patient hystérique en plein transfert, mais aussi avant tout par un Montgomery Clift à la posture de figure d'autorité, d'homme de science habité où vient constamment poindre dans le regard ou les faiblesses d'une posture une flamme intense, une bataille constante entre ses convictions profondes et ses propres fantômes. Peu importe que sa relation avec John Huston fût plus que houleuse sur le plateau (chacun se renvoyant plus ou moins la balle à ce sujet), les retrouvailles des deux hommes après le superbe Les Désaxés, aboutit une nouvelle fois à une très grande œuvre de cinéma.



