Dix ans que d'une certaine façon, on était sans nouvelle du scénariste de Will Hunting. 10 ans que Ben Affleck se perd dans des grandes productions boursouflées (Armaggeddon) en jouant les jeunes premiers ou les héros au grand cœur avec le même visage poupin. Gone Baby Gone sonne un peu comme une résurrection.
On ne peut pas dire que la carrière d'acteur de Ben Affleck ait jusqu'ici été particulièrement lumineuse. Si l'on excepte les films de Kevin Smith (Méprises multiples, Dogma) ou Will Hunting, notre bonhomme hésite entre des rôles de super-héros qui ne lui conviennent absolument pas avec son air un peu pataud, ou des comédies faiblardes. A priori, malgré la sympathie que l'on peut avoir pour la personne, son passage derrière la caméra n'avait rien de bien rassurant. Pourtant, comme pour aller à l'encontre de l'image qu'il avait, peut-être à son corps défendant, construite, Ben Affleck décide d'adapter sur grand écran, Gone Baby Gone, roman de Dennis Lehane qui avait déjà donné naissance à l'exceptionnel Mystic River de Clint Eastwood. Une filiation qui aurait pu être particulièrement handicapante, en particulier quand les deux œuvres font office de diptyques se déroulant dans les mêmes lieux et scrutant des thématiques proches, si le jeune réalisateur n'avait pas fait preuve d'une vraie simplicité dans sa mise en scène, et d'une certaine modestie.
Loin des canons hollywoodiens, Gone Baby Gone reflète donc avec réalisme et subtilité la triste vie des habitants d'un quartier pauvre de Boston. Un coin qu'Affleck connaît bien car il y a grandi, et une pauvreté à laquelle il a vite été confronté, son père y étant travailleur social. Un vécu qui transpire à chaque plan et qui permet de véritablement donner vie à ce roman qui, sous des dehors de polar classique avec trahisons, complots et fausses pistes, se révèle tout comme Mystic River un drame déchirant sur les laissés-pour-compte, les « déchets » du monde moderne, oubliés, dénigrés et surtout jugés. Et c'est bien là la force du métrage, qui ne va jamais chercher les larmes faciles, l'illustration pathos et le manichéisme populaire (du genre peuple=gentil, riche=méchant), mais met en lumière le désarroi et ses conséquences, ainsi que la réponse paternaliste d'une certaine forme d'autorité qui s'érige en juge et juré, en haute autorité à même de choisir le destin de l'autre. Un propos d'une rare intelligence, courageux et admirablement construit qui passe facilement du fait divers à une certaine universalité, où comment mettre à bas le droit d'ingérence. Gone Baby Gone est certes une nouvelle preuve de l'immense talent d'un acteur en pleine ascension, soit un Casey Affleck magistral, mais il marque surtout la naissance d'un réalisateur, qui on l'espère se révélera bientôt auteur.



