Malgré la jaquette très marquée « actioner qui débourre », la dernière production chinoise de Jackie Chan paraît bien loin des films passés du bonhomme : on a ici droit à une chronique noire et sans fioriture, qui tranche méchamment avec le reste de sa filmo. Jackie comme vous ne l'avez jamais vu !
Ancienne star magistrale du cinéma d'arts martiaux, Jackie Chan a entamé depuis Rush Hour une carrière pépère aux Etats-Unis. Un bon moyen d'augmenter son compte en banque, mais pas forcément d'honorer sa carrière chinoise. Les divertissements passables, les titres foireux et les daubes monumentales s'accumulent (merci Ratner...), et il semblerait que l'ex-roi de la castagne ait finalement réalisé la déception que cela pouvait provoquer chez ses fans. Mais en dehors de quelques caméos, pas question de revenir en Chine pour reprendre sa filmographie là ou elle en était. New Police Story ou The Myth démontrent un besoin de varier ses personnages et peu à peu d'installer une figure plus dure, plus mature auprès du public. A ce titre, Shinjuku Incident se présente comme une étape décisive : l'acteur ne s'y lance plus dans des chorégraphies acrobatiques, et préfère interpréter un immigré qui va devenir l'un des leaders de la mafia locale et assassiner les gêneurs. Pas une scène de comédie, une scène de nue, et une violence crue à peine contenue... Une vraie prise de risque pour cet habitué de la gaudriole et des grimaces, qui fait preuve d'une retenue inattendue et surtout d'une réelle intensité dans les passages dramatiques. Même dans l'excellent Crime Story (qu'il avait d'ailleurs à l'époque renié pour sa violence), il n'était jamais allé autant à contre-courant de son image populaire.
Mais une fois la (bonne) surprise passée, Shinjuku Incident ne se borne pas à être un véhicule promotionnel pour personnalité en mal de reconversion. Ancien acteur de la mythique Shaw Brother, Derek Yee a démontré depuis quelques années que le polar moderne chinois n'avait pas forcément besoin de se claquer sur les esthétiques empruntées de Johnny To. Après Une Nuit à Mongkok et Protégé, le cinéaste continue d'explorer les bords les moins reluisants du crime organisé, jouant ici de l'opposition entre une branche chinoise de la Mafia et les fameux Yakuza. Profitant d'une superbe photographie faisant ressortir les lumières aveuglantes et omniprésentes de Shinjuku, le cinéaste souligne la barbarie dissimulée sous les poses classieuses des mafieux et le misérabilisme des immigrés du Continent. Un jeu des contrastes (excellente utilisation de la barrière linguistique) que l'on retrouve autant dans la mise en scène (cut et nerveuse côté chinois, plus posée et fluide côté nippon) que dans la construction dramatique du long-métrage, composé en deux parties distinctes : la première, plus sociale, présente la pauvreté et l'impossibilité pour le personnage de Jackie Chan et ses compatriotes de s'intégrer dans leur pays d'adoption involontaire ; la seconde tombe avec naturel dans le pur Yakuza-eiga avec une montée de violence inévitable. Polar dur et âpre, drame parfois un peu pathos mais souvent juste, Shinjuku Incident aurait sans doute mérité d'être projeté sur grand écran dans l'Hexagone. Ne serait-ce que pour faire oublier Shangai Kid et autres Kung-fu Panda.



