Nous sommes au beau milieu des années 90 et le jeune réalisateur David Fincher remonte la pente après le tournage houleux de son premier long-métrage au sein de la Fox : Alien 3. Après un bref retour dans l'univers musical, il retente sa chance dans le monde du cinéma en tournant Seven, qui restera comme un des thrillers les plus marquants de cette fin de XXème siècle et, par la même occasion, le propulsera instantanément sur le devant de la scène hollywoodienne.
Seven expose au grand jour (sous la pluie) ce qui était déjà décelable lors de la vision d'Alien 3 : le talent extraordinaire de David Fincher, réalisateur maniaque et pointilleux, à l'instar de James Cameron (ce n'est peut-être pas par hasard qu'il a été choisi pour lui succéder sur la saga Alien). Méthodique, méticuleux et patient, un peu à l'image du tueur en série qu'il met ici en scène. Seven est un sommet du thriller, sous-genre choc du cinéma policier, dont toutes les influences sont subtilement digérées, ré-harmonisées et passées dans le filtre d'un joyaux noir au pessimisme glaçant, écrit par un Andrew Kevin Walker en état de grâce. Le Silence des agneaux, autre pépite du genre sortie quatre ans plus tôt, semble être la Bible de Fincher et son équipe, le film de Jonathan Demme se penchant sur le parcours initiatique d'une jeune recrue du FBI (Jodie Foster, qui a droit à un clin d'œil dans Seven et passera devant la caméra de Fincher dans Panic Room quelques années plus tard) à la poursuite d'un meurtrier insaisissable. La thématique du serial killer extrême, le score entêtant de Howard Shore, la photographie quasi-monochrome... Les similarités pullulent jusque dans certains choix du script, notamment lors d'une fameuse séquence mettant en scène des forces de l'ordre persuadées d'avoir démasqué l'assassin, et agissant avec un tact pachydermique à l'américaine.
Seven ne sombre aucunement dans le copier / coller pour autant, le changement de ton d'un film à l'autre laissant à penser que 20 années se sont écoulées entre les deux long-métrages. Fincher aborde déjà son matériau sous un jour bien plus terre-à-terre, boudant l'enceinte élitiste du FBI pour mieux plonger, à hauteur d'hommes (ici des inspecteurs de police à l'existence toute banale) au cœur d'une ville battue par des pluies intarissables, et gangrénée par une violence urbaine dont l'écho se propage jusque dans la chambre à coucher de nos modestes héros. Une noirceur cristallisée par l'inspecteur Somerset, campé par un Morgan Freeman impérial, policier en fin de carrière érudit mais désabusé, et surtout dépassé par une société qu'il ne comprend plus. A ses côtés, Brad Pitt hérite d'un rôle typique de chien fou, irrévérencieux, porté par son instincts et ses réflexions à l'emporte-pièce (format XL). C'est en compagnie de ce duo que (presque) tout oppose, cher au cinéma policier à l'américaine (comprenez, rayon Don Siegel et William Friedkin), que le spectateur est amené à pister l'insaisissable John Doe, mettant le doigt dans un engrenage de mises à mort pétrifiantes, culminant en une conclusion cinglante contrastant avec un lever de soleil à la beauté saisissante. Seven reste encore aujourd'hui une véritable expérience, éprouvante et traumatique. Qu'il ait marqué durablement l'univers filmique n'est que justice, sa paternité se retrouvant dans d'innombrables productions, télévisuelles avec Epitaphios produit par HBO Argentine, et cinématographique avec l'ersatz Résurrection et plus particulièrement Saw de James Wan, reprenant à son compte les codes de Fincher avec dix ans de retard. Pouvons-nous alors considérer Seven comme un grand-père de la vague des Torture-Porn qui inonde nos écrans depuis quelques années ? Probablement, mais rares sont ceux qui seront parvenus à retranscrire la violence graphique avec le même talent, la même suggestion et surtout, la même intelligence.




