Après une trilogie survitaminée, bigger and lourder (Uncharted), les petits gars du studio Naugthy Dog reviennent avec un nouveau joyau, The Last of us, d'un tout autre genre et qui se pose déjà comme un chef-d'œuvre absolu, un des plus grands jeux de l'histoire du jeu vidéo, doublé d'un sublime cadeau d'adieu à la PS3.
Annoncé et attendu depuis plusieurs mois maintenant, The Last of us promettait beaucoup et se profilait comme un hit en puissance. Après avoir eu la manette en main et pris part à l'aventure pendant plusieurs heures, on peut sans crainte annoncer que le jeu de Naughty Dog est bien plus que cela, remplissant son contrat au-delà de nos espérances. The Last of us est un chef-d'œuvre total, dont le lyrisme n'a d'égal que la subtilité de son écriture et la crudité de son imagerie. Amateurs d'Uncharted soyez prévenu, l'expérience se montre ici bien différente. A chaque jeu son esthétique et son rythme ; soucieux de mettre en scène avec la plus grande minutie l'ambiance apocalyptique de son soft, le studio a pris des décisions esthétiques et narratives particulièrement radicales qui, sans être incompatibles avec le public cible des périples de Nathan Drake, risque d'en perturber plus d'un. Exit ici le rollercoaster fun et décomplexé, à mi-chemin entre les aventures archéologiques de Tomb Raider et le second degré incroyablement fun d'Indiana Jones, bienvenue dans un monde où le temps s'est arrêté, où la loi de la jungle a repris ses droits, et où le danger est omniprésent. Plus encore qu'Uncharted, The Last of Us est ainsi une expérience unique qui ne plaira pas à tout le monde et qui risque fort de laisser les cœurs de pierre sur le carreau.
Jouissant du savoir-faire technique et scénaristique de ses concepteurs, The Last of us enchaîne dès son introduction choc les morceaux de bravoure, rythmant brillamment une histoire de fond à la poésie vertigineuse, dont la profondeur thématique n'a que très rarement été égalée dans le genre. En pleine recrudescence de la figure du zombie dans la culture populaire moderne (de I am a hero à Resident Evil, de The Walking Dead à World War Z), le soft de Naughty Dog n'aurait pu être qu'un banal jeu d'action / horreur, courbant l'échine devant les impératifs de la production vidéoludique moderne (gore gadget et esthétique viscérale absente, action omniprésente et tension inexistante). Il n'en est rien. Le studio travaille en profondeur le background ultra-codifié de cette mythologie post-apocalyptique, façonnant un univers démesuré et furieux, où la rage côtoie l'innocence, où la violence fréquente l'émerveillement. Puisant pour sa trame dans le fabuleux Les Fils de l'homme, et pour son ambiance dans la radicalité et la poésie désespérée de La Route, The Last of us précipite le joueur à chaque instant au cœur de décors incroyables, et l'immerge dans une ambiance glauque et sans concession, qui colle à la peau. Vingt ans après le début de l'infection, le monde est ravagé, la nature a repris le dessus et l'homme tente de survivre tant bien que mal. Au milieu des infectés et des nombreux groupes de malfrats ayant mis les derniers vestiges de la civilisation à feu et à sang, le joueur ressent ainsi en permanence un profond malaise. C'est d'ailleurs ce qui fait tout le sel du jeu : derrière le confort salvateur de la fiction, un vrai sentiment d'insécurité envahit peu à peu le joueur, chaque séquence amenant son lot de frissons. En cause, la majesté de certains lieux, l'éblouissante beauté de certaines situations (les girafes), mais aussi et surtout de rapides et brutales échauffourées entre nos héros et les autres survivants. Tout ici est une question de vie ou de mort.
Jouant la carte du survival jusqu'au bout, The Last of us s'appréhende plus ou moins de la même manière qu'un jeu récent comme Metro Last Light. Très peu de munitions sont disponibles et de nombreux objets doivent être récoltés pour pouvoir réapprovisionner et confectionner quelques outils de défense à l'aide d'une interface simple et intuitive, traduisant parfaitement l'aspect terriblement précaire de ces outils. Tout est bon à recycler, et cette inlassable quête de ressources pousse rapidement le joueur à explorer le décor de fond en comble, saisissant chaque occasion de dévier du chemin principal. Ainsi, en dépit de son level design certes très linéaire, The Last of us s'appréhende d'une manière très ouverte, incitant à sans cesse repousser les limites d'espaces désolés, et s'y frayer un chemin malgré des conditions désespérément hostiles. Chaque situation s'appréhende avec prudence : le terrain doit être soigneusement analysé en fonction du moindre chemin de traverse permettant d'éviter l'affrontement direct, le plus souvent fatal. Que ce soit en mode Difficile, où l'on se sent déjà parfaitement démuni, ou en mode Survivant (qui révèle toute la dimension « survival » du soft), les nombreuses confrontations sont des monuments de tension. Toutes les augmentations de capacités ou les améliorations d'armes ne seront donc pas de trop pour survivre à cette balade sauvage.
Pour autant, c'est véritablement lorsque le rythme cardiaque du joueur retrouve une pulsation normale que le jeu prend toute son ampleur et livre toute sa beauté et son originalité. A travers l'ambiance glauque des building dévastés, au milieu d'une foret luxuriante, ou perdu dans les allées d'une université remplie d'animaux sauvages, le joueur est invité à prendre son temps et contempler la beauté sourde de ce monde sans vie, au son de la dépressive musique de Gustavo Santaolalla, qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler les accords stridents et désespérés de Nick Cave pour le score de La Route. Au rythme des discussions entre Joel et Ellie, de ses sifflements et des BD et autres documents que l'on trouve sur le chemin, l'histoire se construit, le passé de ce monde ressurgit et un lieu se tisse entre les personnages, tandis que le joueur lui se délecte de chacune des situations, apprend à vivre au rythme de leur mésaventures et prend un plaisir incommensurable à « survivre » aux côtés de personnages touchants qui parviennent, le temps de quelques heures, à exister grâce à la pression de quelques boutons. Certes, les enjeux restent simples et l'aventure se risque à un rythme en dents de scie très particulier, des choix totalement légitimes et pensés par les développeurs pour mieux bouleverser les codes indéboulonnables du blockbuster et les habitudes du joueur. Ce dernier est quasiment livré à lui-même ici, aux côtés des deux héros dont il devra se prendre d'empathie, s'il veut pleinement vivre cette aventure qui s'avère être sans nulle doute l'une des plus grandes et plus émouvantes de l'histoire du jeu vidéo. Et vu les moyens que se donnent les auteurs en termes de trajectoire dramatique et d'identification aux personnages (voir cette incroyable scène d'ouverture), cet investissement émotionnel risque - vous êtes mis en garde - de laisser des traces.