Sex-symbol absolu, mais aussi reflet troublant de l'opposition entre le mythe hollywoodien et la cruelle réalité, Marilyn Monroe, ex Norma Jeane, aurait pu être une héroïne de conte de fée. Aurait pu. Manifestement un peu amoureux, Tommy Redolfi (Viktor) lui offre un album de 250 pages comme un ultime et sublime voyage.
D'une biographie, le lecteur attend naturellement véracité, reconstruction richement documentée, révélations à foison et un portrait total du sujet, à la fois conforme à l'image qu'on en a et aux témoignages de ses proches. Compliqué. Tommy Redolfi ne s'embarrasse pas de tout cela affirmant dès la couverture que la Marilyn Monroe de Holy Wood (un clin d'œil à Marilyn Manson ?) sera une vision fantasmée de la star, un récit profondément intime et personnel. D'ailleurs, il pourrait en être difficilement autrement tant dès les premières pages, l'artiste est très loin de rechercher la moindre trace de réalisme visuel. Ses personnages par exemple alternent entre de petits corps, des allures de grandes perches, des têtes disproportionnées ou monstrueuses, des expressions exagérées à outrance ou totalement vides, donnant souvent l'impression de découvrir un véritable défilé de monstres en tous genre... Pas étonnant que Redolfi imagine la naissance de cet Holy Wood dans les ruines d'un ancien cirque de freaks.
Marilyn elle-même change constamment d'apparence, passant de l'austérité plate de la jeune Norman à la plantureuse et toute en rondeur Monroe, autant pour correspondre aux regards que l'on porte sur elle, que pour peu à peu laisser affleurer ses véritables blessures. On peut en effet reconnaitre à plusieurs reprises de véritables épisodes célèbres de la vie de l'actrice, quelques jalons incontournables, mais ce qui façonne essentiellement Holy Wood c'est cette reformulation de sa trajectoire, forcément morbide, dans un environnement de conte de fée. Pas celui à la Disney, mais le vrai, celui qui fait peur, la Mecque du cinéma américain devenant un bois opaque et lugubre, ses fondateurs de terrifiants et manipulateurs grands méchants loups, et les délicieuses soirées mondaines ou les plateaux de tournages, des expériences malsaines sous des lumières blafardes. Pas de gloire, pas d'élévation, la vie de Marilyn ressemble surtout à une grande déchirure, à une quête impossible de reconnaissance et d'amour, qui font de cet album atypique une œuvre viscérale, déchirante. Et avec cette petite poupée perdue, jeune femme naïve et fragile, isolée dans un univers de carnassiers, ces planches souvent baignées d'ombres et de rouges sanglants, Holy Wood rappelle fréquemment les grands songes lynchiens de Twin Peaks (Laura Palmer n'est-elle pas une autre Marilyn ?) à Lost Highway (projections...), mais surtout à Mulholland Drive et son regard aiguë sur les mythes hollywoodiens. Voilà un roman graphique ambitieux, grandiose souvent dans sa mise en image et la terreur de certaines visions, mais qui reste charnel, délicat envers cette pauvre poupée qui voulait seulement briller un peu plus que les autres.

