Apparu sur le réseau Netflix en juin 2021, Trese : Entre deux mondes a permis à de nombreux spectateur de faire connaissance avec le folklore philippin. Une série mystique et horrifique qui prend ses racines du coté d'un Komiks (comme ont dit là-bas) devenu incontournable dans son pays d'origine et que Delcourt à la bonne idée de traduire chez nous.
Comme il est de coutume, on réduit bien trop souvent la bande dessinée aux trois pôles archi rabattus que sont le franco-belge, le comic et les mangas. Mais l'art de la BD se développe avec plus ou moins de bonheur sur tous les continents et dans presque toutes les cultures... Et parmi ceux-ci les Philippines ont longtemps été un immense vivier de créateurs, d'artistes et d'univers rivalisant même avec le modèle US. Un historique parfaitement rappelé dans les appendices de l'édition concoctée par Delcourt et où Trese s'inscrit comme l'un des derniers gros carton local. Une série qui a pourtant assis sa renommée progressivement, se faisant tout d'abord connaitre en ligne ou en prépublication publicitaire, puis en fascicule et enfin en volumes, transformant l'héroïne Trese en véritable icone populaire s'offrant même quelques crossovers dans des titres voisins. Un engouement qui s'explique justement par l'encrage primordial du titre dans les mythes et croyances du pays, par sa volonté de raviver des particularismes culturels et de les inscrire dans le monde moderne. Dans Trese donc élémentaux, fantômes, monstres nocturnes, vampires, dieux oubliés et autres gnomes cohabitent plus ou moins pacifiquement avec les humains. Un équilibre fragile sur lequel veille Trese, jeunes femme ultra stylée, maitrisant les secrets obscures et constamment protégée par des deux gardes du corps / familiers masqués, et à laquelle les autorités font appel dès qu'un crime touche à la magie ou au mystérieux.
Si comme dans le dessin animé le Komiks a depuis largement développé son histoire et les origines de l'héroïne, dans les deux premiers volumes réunis ici, les histoires prennent uniquement la forme de one-shot s'attardant sur une enquête à la fois. Des trames de romans noirs, incrustés dans la réalité sociale peu reluisante des Philippines d'aujourd'hui (entre bidonvilles et building luxueux) où les agissements de ces curieux Aswangs, Tikbalangs, Tiyanak, ou Duendes sont surtout les révélateurs des faiblesses de l'âme humaine : délinquance, tromperies, corruptions, malversations, jalousies, misogynie, travail des enfants... Les démon affichent certes parfois des crocs acérés ou même un corps de cheval géant, mais ils ne sont bien entendu que les personnifications d'un mal plus réel que va devoir exorciser la détective de l'étrange. Une mythologie fascinante pour un lecteur occidental et une construction scénaristique toujours maitrisée, efficace, qui donne à ce premier album des airs d'anthologie complète, comme une introduction à un monde plus vaste encore. La série prend donc ses marques, tout comme l'illustrateur Kajo Baldisimo qui débute par une ligne extrêmement fine, des textures et angles très mangas dans les premières pages, avant de s'affirmer de chapitres en chapitres en creusant des aplats plus présents, des contours plus simples mais plus évocateurs. D'ailleurs rien de mieux qu'un noir et blanc parfaitement tranché et que des contrastes aussi frappants, pour dépeindre un monde où le réel et le surnaturel cohabitent avec autant de naturel et d'évidence.

