Après la vision politico-métaphysique (Alexandre), la métaphore patriotique (Troie), l'aventure romantique (Gladiator), le récit de la fin d'un monde (La Dernière Légion) ou même le « presque film d'horreur » (Centurion), le péplum se déguste depuis quelques années à toutes les sauces. Sans indigestion, L'Aigle de la Neuvième Légion, c'est un peu tout cela à la fois.
Si The Eagle (titre original plus court et moins scolaire) partage avec le Centurion de Neil Marshall, sorti quelques mois plus tôt, de nombreux points communs aussi suspicieux qu'étranges, il s'en dégage néanmoins rapidement une vision plus globale. Conçu comme un survival burné, le premier inscrivait efficacement son récit dans une trajectoire unique où la découverte du territoire « autre » et l'obtention de l'item « magique » se faisaient dans la sueur et le sang. Ancien documentariste pertinent et surtout réalisateur de l'irréprochable Dernier Roi d'Ecosse, Kevin MacDonald observe le péplum comme le genre généreux et ample qu'il était autrefois. La mise en image est ici résolument moderne, cherchant plus le réalisme que le clinquant, mais The Eagle tente à l'évidence de renouer avec les fresques d'aventure de l'âge d'or, où ces histoires d'hommes en jupettes faisaient autant parler les glaives que les langues (sans mauvais jeux de mot). Surtout cantonné pour l'instant aux contextes modernes et plus psychologiques, MacDonald se montre pourtant particulièrement capable dans la mise en images de ses quelques scènes de batailles.
Crues, frontales mais discrètement chorégraphiées, ces dernières ne se bornent pas à faire revivre avec réalisme la tension des affrontements de l'époque ; elle resituent admirablement les enjeux dramatiques liés aux personnages, en l'occurrence le romain Marcus Aquila (Channing Tatum) et le celte Esca (Jamie Bell), deux guerriers hantés par la gloire (ou le déshonneur) de leurs paternels respectifs, engoncés dans les postures de leurs cultures. Leur relation maître-esclave va, cinéma oblige, glisser logiquement vers l'amitié virile et donc la compréhension, avec en toile de fond, comme dans le roman original de Rosemary Sutcliff, une étonnante réflexion sur la collaboration américano-anglaise. En brassant les différentes couches de lecture, s'extériorisant parfois vers la quête métaphysique à la Apocalypse Now, revenant à rebours sur une dernière partie héroïque mais platement classique (Deus Ex Machina facile, Happy End, patriotisme déplacé), L'Aigle de la Neuvième Légion perd parfois son identité, ou en tout cas une finalité claire. Il reste cependant un long-métrage parfois exaltant, souvent plastiquement bluffant (en partie grâce au directeur de la photographie Anthony Slumdog Millionaire Dod Mantle), en tout cas suffisamment accrocheur et ambrassant avec une certaine classe l'idée du voyage en terre barbare pour y découvrir sa propre barbarie. On reconnaît bien là le réalisateur du Dernier Roi d'Ecosse, thématiquement plus à l'aise que sur les jeux de pouvoir, même si certaines pistes (les hommes peints du fin fond des Highlands fleurant bon l'hommage au 13ème Guerrier de Mc Tiernan) reste désespérément en jachère.