Six films, presque trente ans d'histoire et en définitive de désillusions. Alors qu'une certaine esthétique, une certaine approche du Space Opera et du grand spectacle avaient séduit la première génération de spectateurs, le réalisateur / producteur / scénariste / monteur / créateur George Lucas n'a rien trouvé de mieux que de tout faire pour se les mettre à dos. Chapeau l'artiste !
Si la sortie en 2011 provoque une telle attente et une telle fébrilité, c'est que depuis 1977 le monde, les personnages et les créatures de Star Wars sont entrées glorieusement dans la mémoire planétaire. Peu de films peuvent se vanter d'être à l'origine de la quatrième religion citée lors d'un sondage anglais, ni d'être utilisés, référencés dans des milliers d'autres œuvres cinématographiques, littéraires ou vidéo-ludiques. En 1977, Star Wars fait tout simplement figure de raz de marée, dont les échos n'ont pas fini de venir s'échouer sur notre rivage. Auteurs de deux œuvres aussi dissemblables que personnelles (THX 1138 et American Graffiti), le jeune réalisateur George Lucas pense alors rendre hommage à ses lectures d'enfance (les revues de science-fiction pulp, les comics d'aventure) tout en donnant corps à l'adaptation impossible de Flash Gordon. Moins candide que certains de ses modèles, il s'efforce tout de même de préserver une profonde naïveté, une magie simple et sensible héritée des mythologies antiques ou de la légende arthurienne. A l'encontre totale de la mouvance du nouvel Hollywood, plus ancré dans le discours politique et un spectaculaire presque social, Lucas cherche l'universalité, et entend reproduire les mythes d'antan. En somme le bonhomme vient simplement d'inventer le Space Opera, mais cela ne s'arrête bien entendu pas là : techniques d'effets spéciaux révolutionnaires (renvoyant 2001 et Star Trek à la préhistoire), symbiose totale avec le marketing (figurines et autres)... Le blockbuster naît dans la foulée.
Et si Star Wars n'a cessé de remplir les salles de cinéma cet été-là, c'est aussi parce que sous cette débauche visuelle, le réalisateur réutilisait intelligemment des dispositifs de mise ne scène hérités de Kurosawa (par bien des points, le premier film est d'ailleurs un remake de La Forteresse Cachée), prenant notamment le point de vue de deux personnages secondaires (les droides) pour mieux faire pénétrer le spectateur dans un univers improbable. Un univers où la magie ancienne s'appelle la Force, le seigneur du mal Darth Vader et où des centaines de vaisseaux spatiaux fondent dans les tranchées de l'Etoile de la mort. Grandiose et intemporel, ce Nouvel Espoir fut bien entendu rapidement rejoint par les deux chapitres suivants d'une trilogie imaginée dès le départ sous cette forme. L'occasion de retrouver des personnages charismatiques, courageux, pleutres, curieux mais toujours vibrants, et de revivre jusqu'à la lie le combat éternel du Bien contre le mal. Confié à Irvin Kershner (Jamais Plus Jamais, Robocop 2), L'Empire contre-attaque reste l'un des plus grands moments de l'histoire du cinéma populaire, porté justement par une réalisation tour à tour plus sombre et plus enlevée que celle de son modèle, étoffant plus avant des personnages déjà attachants (chaque protagoniste a droit à une trajectoire dramatique propre), et cède également à un humour joyeux (l'apparition de Yoda) ou plus adulte (la romance inoubliable entre Solo et Leïa). Un film parfait, en particulier en comparaison d'un plus scolaire - mais néanmoins charmant - Retour du Jedi, que des années plus tard George Lucas ne va pas hésiter à triturer sans vergogne.
Vingt ans après avoir changé le visage du cinéma américain, pour ne pas dire mondial, Lucas est devenu rentier, gérant la licence Star Wars (romans, comics et jeux vidéos innombrables) mais aussi celle co-créée avec son camarade Steven Spielberg : Indiana Jones. Lui qui avouait depuis des années vouloir renouer avec ses ambitions expérimentales des débuts, va effectuer un virage dramatique qui va le débouter du piédestal sur lequel les (nombreux) fans de la saga l'avaient placé : Star Wars Special Edition. Lucas criait haut et fort depuis des années que les films d'origine avaient été victimes de restrictions dues aux technologies de l'époque, et que certaines scènes (en particulier une première apparition de Jabba dans Un Nouvel Espoir) n'avaient ainsi pu voir le jour. Ce nouveau montage est donc pour le mogul l'occasion de livrer sa vision définitive (on en rit encore) de sa premier trilogie : attaque de l'étoile de la mort désormais bien plus imposante avec une vingtaine de X-Wing à la charge (épisode IV), couloirs de Bespin plus lumineux grâce à des ouvertures ajoutées numériquement (épisode V) et... en fait impossible de trouver une relative amélioration au Retour du jedi. La perplexité frappe d'ailleurs à la vision de l'ensemble de cette trilogie Redux : pour quelques menues modernisations pas désagréables, il faut désormais endurer des remontages complètement foirés de séquences cultes (le spectacle musical chez Jabba dans Le Retour du Jedi est désormais illisible et crispant, l'attaque de Luke par un abominable homme des neiges dans L'Empire contre-attaque perd toute sa force), d'images de synthèse abusives et mal intégrée à la mise en scène (l'arrivée à Mos Espa dans un Nouvel Espoir, dans laquelle des dinosaures obstruent le plus important), de gags foireux et d'intégrations récurrentes de Boba Fett (dès Un Nouvel Espoir...), ou encore de gestes d'autocensure pure et simple (des gunfights remontés dans les couloirs de l'étoile noir et un Han Solo qui n'est plus le seul à tirer dans la Cantina de l'épisode IV).
Du grand n'importe quoi, symptomatique d'un môme désireux de ''casser ses jouets'', comme le scanda un Harrison Ford carrément offusqué à la sortie de la projection. Irvin Kershner, de son côté, racontera comment Lucas lui demanda s'il pouvait rallonger la séquence avec le wampa (le yéti susmentionné) pour mieux vendre le futur jouet à ses plus jeunes consommateurs. Jadis cinéaste, George Lucas se sera métamorphosé au fil des années en fabricant de figurines. Ceci, ajouté à une inquiétante mégalomanie et un manque de discernement à pleurer, explique comme le bonhomme en est venu à détruire son plus beau bébé, puisqu'il s'est de nouveau amusé par la suite à changer des détails pour les sorties DVD (avec une destruction de l'effet de surprise finale de l'épisode V entre autres friandises), et aujourd'hui Blu-ray. Comme assoiffé d'un besoin de révision constant et maladif, l'auteur récidive avec la régularité d'une horloge suisse. Les nouveaux masters désormais proposés en HD sont à leur tour le terrain d'un jeu des 15 (ou plus) différences, sans vraiment que l'on puisse s'y amuser. Cela passe du pas gênant mais donc parfaitement inutile comme (les Ewoks clignent désormais des yeux en images de synthèse), à des plans succincts (invisibles) mais moches (les Calamaris ridicules sur le pont du croiseur rebelle, au début de la bataille finale du Retour du Jedi), à un Darth Vader criant un minable « nooon ! » avant de sauver son fils (pourquoi suggérer, quand on peut tout dire ?), ou le pauvre Obi-wan poussant un cri remixé par David Guetta pour effrayer les hommes des sables.
Inutile de le préciser, ceux qui ne jurent depuis le début que par les montages d'origine en seront largement pour leurs frais. Surtout que loin de n'être que l'apanache des trois anciens épisodes, ces tics atteignent également la seconde trilogie, des scènes se voyant rallongées et d'autres raccourcies, des effets numériques fignolés (c'est certes parfois utile, mais est-ce bien raisonnable ?) sans que les véritables défauts de rythme, de photographie et tout simplement de scénario ne soient en aucun cas gommés. Cela fait trente ans que George Lucas est sur la pente descendante et que les prequelles sont là pour l'attester : bavardes, d'un romantisme niaiseux, peuplées de créatures en synthèse parfaitement débiles, psychologiquement faiblardes.... Surnagent parfois quelques résidus de talent, par exemple lors d'un duel entre Kenobi et Darth Maul (personnage charismatique mais sacrifié sur l'autel de l'infantilisme ambiant), un hommage à Ray Harryhausen suivi d'une grande bataille mettant en scène une masse de Jedi sautillants (L'Attaque des Clones) et tout d'un même un épisode 3 qui relève un peu le nez. Certes avec La Revanche des Sith on est bien loin de l'efficacité et de la justesse d'autrefois, mais l'on retrouve au moins le temps de quelques séquences la nervosité des dogfights spatiaux, avec en sus un personnage, Anakin Skywalker, qui tend enfin vers le héros tragique que l'on attendait depuis si longtemps. Difficile de défendre ce qui aurait pu être la plus grande saga du Septième Art quand elle nous parvient ici blessée, défigurée, en tout cas malade et affaiblie par les coups de bistouris aveugles de son propre géniteur, et maintenue en vie artificielle par les bandes originales inoubliables de John Williams. On pourra dire que ces six films affichent parfois de très beaux restes, mais leur heure de gloire était il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine. Très lointaine...