Elles sont déjà loin, les bafouilles cyniques de certains magazines - qu'on ne nommera pas - ayant accueilli en août 2000 la sortie du 13ème Guerrier dans l'Hexagone. Célébré treize ans après son tournage comme une œuvre d'exception, un miracle cinématographique rescapé d'une production maudite à tous les niveaux, le film de John McTiernan a toujours de quoi surprendre et éblouir.
Le fait est établi, John McTiernan s'est toujours évertué à quadriller géographiquement l'espace qu'il met en scène, grâce à une utilisation novatrice des trois dimensions du cadre cinématographique. De nombreuses séquences ou plans isolés du 13ème Guerrier témoignent de l'acharnement du réalisateur d'Une journée en enfer à habiter l'univers décrit : le visage déformé de douleur (presque imperceptible) d'Antonio Banderas après une descente en rappel abrupte dans une grotte, l'entrechoc des glaives des vikings et des masses d'armes des Wendols dans la pénombre d'une demeure royale révélée par bribes à la lueur de la Lune ; les échanges de regards discrets entre l'intrépide Buliwyf et la femme du roi Hrothgar à la table de ce dernier... Reléguant souvent hors-champ, telles de vieilles bâtisses usées par les siècles et tenues pour acquises par les protagonistes, la plupart de ses décors, et faisant de même pour ses innombrables figurants, McTiernan n'a guère besoin de trois heures de métrage pour accumuler une somme de détails étourdissante, le remontage presque sénile opéré par Michael Crichton en post-production n'enlevant dès lors rien du tout à la puissance d'évocation de cette fresque.
Mais ce que John McTiernan sublime par-dessus tout, c'est bien la dichotomie du script (qu'il a officieusement coécrit) entre le naturalisme quasi-maladif des scènes de jour (rarement caméra à l'épaule n'aura été aussi pertinente, et rarement photographie n'aura restitué avec autant de précision les textures de la nature sauvage) et l'expressionnisme ouvertement onirique des séquences nocturnes. Entendant immortaliser des personnages de chair et d'os dans un monde de mythes et de légendes (le point de vue adopté n'est d'ailleurs pas celui du héros, mais d'un écrivain appelé à relater et enjoliver les faits par sa plume), McTiernan signe pour Le 13ème Guerrier quelques unes des scènes de nuit les plus hallucinantes de l'histoire du Septième Art, en particulier une bataille de sept minutes située en plein cœur de la narration, noyée dans un épais brouillard et puisant sa seule source de lumière dans le crépitement des torches adverses.
A s'effondrer d'admiration (même si le présent Blu-ray peine par moments à gérer la photographie extrême de Peter Menzies Jr.), ce morceau d'anthologie distille une vision inédite des Enfers, McT tirant judicieusement profit d'un coucher de soleil en temps réel pour mener ses personnages vers le brasier qui les attend. Le jour s'amenuise ainsi à mesure que les vikings, poursuivis dans les tranchées érigées autour du village par une steadycam affolée, se préparent au combat. Jouant, comme dit précédemment, sur les trois dimensions de son scope (McTiernan n'oublie pas de lever le regard pour saisir au vol le cri d'un guerrier appelant ses frères à se battre), cette fuite en avant grisante se voit subitement contrebalancée par un champ / contre-champs silencieux, synchronisant de nouveau les regards du public et du personnage d'Antonio Banderas. Au sommet d'une colline, à quelques mètres de là, s'élève dans l'obscurité une brume rougeoyante, déversant bientôt un raz-de-marée de cavaliers sur les plaines alentours. Faisant rage à l'extérieur comme à l'intérieur des murs, cet affrontement appelle une implication totale et active de la part du public, que des mouvements perpétuels dans l'espace contraignent à arpenter la crasse du champ de bataille, et à imaginer ce qui se joue au-delà des coins de l'écran. Au détour de quelques plans, McTiernan en profitera pour repousser ses expérimentations photographiques, effectuant un incroyable travelling compensé (dans la nuit et le brouillard, donc !) sur une horde de chevaux s'apprêtant à piétiner l'objectif, filmant la mort lente d'un guerrier criblé de flèches tandis qu'une armée de cavaliers inonde l'avant plan en un flot continu, ou gravant la posture implorante (un genou et la pointe du glaive plantés à terre) d'un ambassadeur devenu guerrier, iconisé en une ombre chinoise flamboyante.