Il y a des films étalons auprès desquels tous les successeurs sont irrémédiables et cruellement comparés - et souvent à leur désavantage. Dans le genre populaire du peplum, Ben-Hur fait clairement office non pas d'œuvre matricielle (le genre existait bien avant lui), mais de colosse indétrônable.
Au cours des années 1950, fortement marquées (voir traumatisées) par le Maccartisme, l'industrie cinématographique et en particulier ses dirigeants issus de la communauté juive essaient de retrouver une situation d'intouchables en s'efforçant de produire des films plus blancs que blancs, plus patriotiques que jamais et tant qu'à faire chrétiens en diable. De là naît la vague imposante des péplums religieux, dont on retiendra Quo Vadis, La Tunique ou Les 10 Commandements. Des productions luxueuses, concurrençant par leur démesure une télévision tout juste entrée dans les foyers américains. Le genre s'apprêtait à accueillir son empereur sous l'appellation de Ben-Hur, sous-titré accessoirement « A Tale of the Christ ». La Metro-Goldwyn-Meyer, cherchant un nouveau succès pour assoir son écrasante domination sur le marché mondial, ressort donc l'une de ses plus belles réussites des archives, Ben-Hur, fastueux film muet tourné en 1925 d'après le roman évangéliste du Général Lew Wallace. Sans doute n'est-ce d'ailleurs pas dû au hasard si le réalisateur de cette nouvelle adaptation, en réalité un pur remake, n'est autre que William Wyler, cinéaste certes connu pour des réalisations « auteurisantes » ou en tout cas jugées respectables, comme Les Hauts de Hurlevent ou La Loi du seigneur... Mais se révélant être aussi l'un des assistants réalisateurs de Fred Niblo (Le Signe de Zorro) sur l'opus initial.
De cette expérience, Wyler garde manifestement une excellente mémoire puisque outre des dialogues parfois parfaitement identiques (dans le doute dira-t-on qu'ils proviennent de la mouture théâtrale), le cinéaste emprunte à son aîné de nombreuses idées de design et de découpage. A ce titre le plus évident est bien entendu la fameuse séquence de course de chars, louée aujourd'hui encore pour sa nervosité et son sens du spectaculaire, qui n'est rien d'autre qu'un copier-coller du film muet, avec tout simplement un cirque encore plus grand et des statues plus imposantes encore. Toute l'idée de ce nouveau Ben-Hur est d'ailleurs là, dans une surrenchère presque arrogante. Des milliers de figurants, une fortune dépensée dans la confection des costumes et de décors d'une richesse délirante, des navires en taille réel fracassés en plein cadre, des effets spéciaux (presque) toujours à échelle réelle... Le spectacle est aujourd'hui encore presque indécent de grandeur, de magnificence. Wyler, en solide artisan, exploite d'ailleurs à merveille les techniques de l'époque, en particulier le Technicolor, en jouant habilement avec des couleurs vives et graphiques, écrasant son cinémascope ample de constructions historiques, de dunes interminables ou de visions romaines d'une profondeur qui rendra jalouse l'équipe du Gladiator de Ridley Scott.
Mais au-delà de ces outrances pharaoniques, donnant à l'antiquité romaine toute sa superbe et sa décadence, Ben-Hur se révèle finalement ce que l'on pourrait appeler un blockbuster intimiste, un long-métrage ou les deux-trois scènes spectaculaires (atteignant en générale le bon quart d'heure chacune) semblent en minorité face aux nombreuses scènes bien plus concentrées sur la destinée de Juda Ben-Hur, prince de Judée, et clairement rôle de la maturité pour Charlton Heston. Un personnage complexe, partagé entre amour de son prochain, quête vengeresse contre son frère ennemi et rédemption. Construit sans manichéisme aucun, capable de voir en un romain plus éclairé un vrai frère, il offre un message de paix et de compréhension parfois déchirant, entre tragédie et comédie douce (en particulier les échanges avec le Cheik Idlerim joué par un jovial Hugh Griffith), dont le message religieux ne fait en définitive office que de révélateur. Ecrit en parallèle avec la vie du Christ (idée parodiée bien plus tard par le génial La Vie de Brian), jalonné de rencontres épisodiques avec ce futur sauveur (dont on ne verra jamais le visage), Ben-Hur est certes une œuvre fortement chrétienne, parfois quelque peu plombée par des images d'une confondante naïveté, mais la narration semble trouver une vraie universalité sous la direction de William Wyler. Sans doute est-ce aussi pour cela que cette fresque inoubliable de l'âge d'or hollywoodien vieillit aussi bien.




