De Scarface à L'Enfer du dimanche, le cinéma d'Oliver Stone a toujours suivi les destins de ces hommes passionnés qui, a tort ou a raison, vont connaître une chute tout aussi spectaculaire que leur ascension. Projet vieux de plus de quinze ans, Alexandre est à la fois le point de départ de son cinéma et sa conclusion temporaire. Film d'aventure épique, drame intimiste, délire d'un metteur en scène... Lorsqu'un film se révèle aussi grandiose et malade que son héros.
Cinéaste remarqué grâce à de sublimes films engagés voire même manifestes comme Salvador, JFK, Platoon, Scarface, Wall Street ou Tueurs Nés, Oliver Stone sait se mettre en danger. En attaquant ainsi de front la vie de l'un des personnages historiques les plus marquants de l'antiquité à une époque où les péplums sont devenus des blockbusters virils (Gladiator ou Troie), il sait qu'il va faire des vagues. Surtout que le but de Stone n'est absolument pas de livrer un film « commercial » comme on peut l'entendre aujourd'hui. Film épique oui, mais pas opportuniste. Aidé de l'historien Robin Lane Fox et en se basant sur ses propres recherches, le réalisateur tente de prendre le point de vue d'un dramaturge ou d'un témoin de l'époque (comme l'induisent le prologue et l'épilogue), crédibilise le rapport des hommes d'alors aux dieux, normalise la représentation des rapports amoureux entre les personnes de même sexe, filme les techniques de guerre de l'époque sans tomber dans le sensationnisme hollywoodien... Et aboutit à un véritable film historique où la dramatisation est présentée comme telle. Car plus qu'une vérité, Alexandre est la redécouverte d'une légende par le biais du récit de son ancien général Ptolémée qui, à la fin de sa vie, retrace son souvenir de ces années. Alexandre est donc le portrait subjectif d'un homme qui doute, qui se cherche et surtout qui va se perdre. La force du film d'Oliver Stone est de nous montrer une nouvelle fois (on pense beaucoup à Scarface) un homme brisé qui va tenter d'aller au bout de son rêve. Bien plus que les sublimes séquences de batailles et les fabuleux décors, Alexandre, l'homme, est le moteur du film. Détruit dès sa jeunesse par la relation haineuse entre ses parents et même les tendances incestueuses de sa mère, Alexandre ne fait que fuir et son envie de conquête de l'orient n'est finalement qu'une excuse.
Loin d'être un héros parfait, Alexandre est un homme parfois orgueilleux mais surtout touchant, à deux doigt de tomber dans la folie, mais qui grâce à son rêve va transformer le monde. Lorsque l'on demande à Oliver Stone, cinéaste particulièrement politisé, s'il compte faire un film sur le 11 septembre, il répond, sourire en coin, que c'est Alexandre. Car au-delà de l'identification, Alexandre fascine. Par sa présence, son âme guerrière, mais surtout sa pensée largement plus ouverte que celle de dirigeants actuels. Eduqué par Aristote dans son plus jeune âge, il tente de réunir le monde sous une seule bannière. Un rêve conquérant tempéré par sa volonté de faire partager une paix totale. Sans être démagogique, une fois la conquête passée, il prend très vite l'habitude de laisser aux conquis la gestion du pays et montre une grande compréhension des différentes cultures qu'il croise, allant jusqu'à se marier avec Roxanne (interprété par la sublime Rosario Dawson), considérée alors comme une barbare. C'est d'ailleurs cette humanité, ces « faiblesse » qui vont le mener à sa perte, se rendant compte au fur et à mesure que ce rêve, il ne peut le partager avec son peuple et que malgré les kilomètres, il ne peut échapper a ses modèles familiaux. Alexandre est un homme trop rêveur et rêvé pour ne pas retomber au sol, ses ailes fondues à trop vouloir se rapprocher du soleil.
Alexandre est un film profond et passionnant qui se bonifiera sûrement avec le temps une fois la première impression (plutôt négative à écouter les spectateurs) passée. Sa complexité, sa fougue, son honnêteté et sa force ne sont pas chose commune dans le cinéma actuel.