Quelques années après le flop (pas vraiment mérité) de son premier long-métrage Serenity, Joss Whedon passe à la vitesse supérieure en acceptant de mener à bien l'entreprise la plus audacieuse jamais initiée par Marvel.
Les mauvaises langues annonçaient pour The Avengers un écueil historique, à la mesure du pari commercial que représentait ce crossover impossible, mélangeant l'ensemble des franchises fortes de la maison des idées. Entre les mains de n'importe quel cinéaste, le film aurait effectivement pu sombrer dans des schémas et formules d'un autre âge, amenant chaque star (Hulk, Captain America, Thor, Iron Man, mais aussi Loki, Black Widow, Œil de Faucon, Nick Fury et Maria Hill) à tirer la couverture à tour de rôle. Compte tenu des rythmes et des univers antinomiques desdits protagonistes, la collision aurait rapidement consumé l'intrigue. Heureusement, Joss Whedon n'est pas n'importe quel cinéaste. Plutôt que de zapper confortablement d'un héros à l'autre, le scénariste de Toy Story, accessoirement créateur des séries Buffy contre les vampires et Angel, analyse le problème sous tous les angles, questionne chaque ingrédient, remet en perspective chaque péripétie des longs-métrages précédents pour nourrir un script d'une cohérence, d'une complexité et d'une richesse aussi folles que la narration semble fluide et évidente. La première grande réussite d'Avengers est sans conteste son scénario multicouches, replaçant sur un échiquier géant l'ensemble des enjeux, des personnages principaux, des protagonistes secondaires et des technologies croisés dans les longs-métrages de Joe Johnston, Jon Favreau, Louis Leterrier et Kenneth Brannagh pour en décupler la puissance d'évocation. L'univers cinématographique Marvel, ayant pris l'habitude jusqu'alors de partir dans des directions contradictoires, prend enfin tout son sens devant les yeux de Whedon, dont la faculté à révéler l'aspect jubilatoire de chaque élément autant que ses résonnances politiques (la manipulation du SHIELD et l'ambigüité de Nick Fury sont au cœur du récit), mais aussi à disséminer tout au long du récit une multitude de petits instants précieux, d'échanges humains et irrésistibles, bref, de vrais moments de proximité émotionnelle, ne lasse pas d'impressionner.
Victorieux sur le fond (50 révisions seront nécessaires pour verrouiller chaque séquence ou ligne de dialogue ; ça se sent !), Whedon risquait de chavirer sur la forme, son passé télévisuel ayant suffi pour que beaucoup de cinéphiles méfiants le cataloguent avant l'heure parmi les inaptes d'Hollywood. Directeur d'acteurs hors-pair (le cast, pourtant très inégal dans les films précédents, est ici renversant de justesse, et le nouveau venu Mark Ruffalo bouffe littéralement la pellicule dans le rôle de Bruce Banner), Whedon semble prendre un malin plaisir à contredire ses malheureux détracteurs. S'ouvrant sur une poursuite à l'ambiance bondienne renvoyant au cinéma de Brad Bird, enchaînant les instants de jubilation infantile (le décollage de l'héliporteur) ou de pure magie chorégraphique (l'affrontement entre Thor et Iron Man, aussi virtuose et ciselé que la scène du métro de Spider-Man 2), Avengers avance en crescendo, pied au plancher, jusqu'à se permettre en milieu de métrage un gros morceau de space opera en montage parallèle rappelant les grandes heures de la trilogie Star Wars originale. Une séquence d'anthologie étourdissante cachant pourtant un final dantesque d'une bonne demi-heure, dont l'écriture compulsive (contrairement au blockbuster moyen, chaque péripétie est écrite ; et il y en a beaucoup !) n'a d'égal que l'opulence des money shots (prévoyez à peu près 200 écarquillements d'yeux). Phénoménal et totalement inédit dans le genre (Michael Bay risque de pleurer de jalousie devant l'ampleur de la chose), le spectacle sert toujours les personnages, lesquels ont le bon goût de perpétuellement évoluer (dans les deux sens du terme) en groupe, leurs trajectoires interdépendantes aboutissant à un plan-séquence héroïque comme jamais le cinéma de super-héros ne nous en avait offerts jusqu'ici. Emouvant dans sa construction progressive de l'improbable communauté éponyme, autant que dans son audace et sa générosité formelles (le travelling circulaire autour des Avengers, martelé par le score dément d'Alan Silvestri, tirera des larmes aux fans de la première heure), le film de Whedon surprend, pour user d'un doux euphémisme. Plus qu'un essai transformé, un miracle.





