Rares sont les films qui provoquent une telle force d'émotion que, des années après la simple évocation du titre, le début d'une mélodie, feraient presque monter les larmes aux bords des yeux, partageant le spectateur entre le désir d'un nouveau visionnage et la crainte de ne pouvoir, cette fois-ci, s'en remettre.
1988 est sans aucun doute l'année la plus importante de l'histoire du studio Ghibli car elle voit la naissance de ses deux plus beaux joyaux : Mon Voisin Totoro et Le Tombeau des lucioles. Deux évocations de l'enfance, de son pouvoir d'imagination, de ses connexions avec mère nature et surtout de son irrémédiable fugacité. Mais si Hayao Miyasaki signe avec humour et fraicheur un bonbon subtilement sucré, son confrère et ami Isao Takahata livre l'un des longs métrages les plus déchirants de l'histoire du cinéma. Adaptation extrêmement fidèle du roman (presque) autobiographique d'Akiyuki Nosaka, le film est un modèle absolu de justesse et d'émotion, qui réussit à combiner le terrible réalisme de l'œuvre originale, et la poésie déchirante, sublime, du futur réalisateur de Pompoko (fable naturaliste) ou Omoide Poroporo (récits nostalgique). Il alterne ainsi les descriptions précises, à la lisière du documentaire lors des bombardements sur Kobé, la découverte d'un corps mort sur une plage, les restes brulés en pourrissement de la mère (l'une des images les plus traumatisantes de l'histoire de l'animation), avec des visions délicieuses d'un grand frère et sa sœur, intimement liés, se rêvant dans un ailleurs inaccessible, peuplé de lucioles féeriques et d'innocence.
C'est sans doute cette façon délicate de contrebalancer constamment la tragédie, cette impossibilité de repousser la mort, qui fait du Tombeau des lucioles un film certes requiem, implacable, mais qui ne se perd jamais dans l'emphase ou dans un voyeurisme tire-larme. Takahata est un cinéaste de la pudeur, qui cherche dans les parenthèses l'infinie réalité, laissant ses deux personnages s'échapper à maintes reprises : un moment de bonheur volé en bord de mer, Setsuko qui administre un simple abri en cabane fantasmée, un câlin qui tourne court sous les coups d'une petite moue boudeuse... Le génie des animateurs de Ghibli est aussi évident que sur Mon Voisin Totoro, donnant aux dessins graciles et fragiles du grand Yoshifumi Kondô (le « troisième homme ») une finesse dans les mouvements, une minutie dans les expressions et les petites attitudes, qui rendent ces deux personnages on ne peut plus attachants car d'une réalité désarmante. C'est l'arme de destruction massive du Tombeau des lucioles, qui fait aimer au spectateur de braves gamins laissés sur le bord du chemin par une Histoire absurde et meurtrière, et les lui ravit brutalement. Peut-être une façon de faire payer au monde des adultes tous ces enfants sacrifiés par indifférence et lâcheté qui hantent le monde d'aujourd'hui ? Une œuvre immensément forte, puissante, mais toujours dans une émotion juste et justifiée. Le pire dans l'histoire, c'est qu'il est de plus en plus difficile d'observer les lumières des lucioles de nos jours.




