Le cinéma français exception culturelle ? C'était surtout vrais il y a quelques décennies lorsque le cinéma de genre local existait, vibrait, loin des attentes d'une télévision encore balbutiante. Sans doute l'un des réalisateur les plus marquant de sa génération, Yves Boisset paye aujourd'hui le prix fort pour le choix de ses sujets et son mépris du politiquement correct. Retour sur trois de ses réalisations les plus importantes, enfin réunies dans un coffret par Tamasa Diffusion.
Comme le dit Lucas Belveaux dans l'une des interviews en bonus de ce coffret, si certains abordent leurs films par le biais des personnages, Yves Boisset le fait surtout par celui de ses sujets. Des thèmes forts, engagés, voir tabous, qui ne caressent pas grand monde dans le sens du poil, et qui aujourd'hui encore paraissent essentiels. Le combat d'Yves Boisset ? Contrecarrer la bêtise crasse, le racisme beauf, le nationalisme aveugle et enrayer la grande machine qui n'a de cesse de briser les individus.
S'il avoue avoir été plutôt protégé pendant son service sur le front algérien, il n'en garde pas moins un souvenir cuisant, traumatisant et aborde ainsi R.A.S. avec une frontalité totale, alors même (nous ne somme qu'en 1973, 10 ans à peine après la fin du conflit) que cette guerre, et surtout les exactions françaises, sont toujours dissimulées sous une chape opaque. Enrôlements forcés, humiliations, privations, déshumanisations, massacres d'innocents, tortures, le film de Boisset, affichant avec ironie les initiales de « Rien à signaler » enfonce les portes unes à unes, comme un film dossier extraordinairement fort et réaliste. Le visage sacrifié d'une jeunesse française, une culture militaire bornée et cruelle, l'absence presque constante de « véritable ennemis », c'est sans aucun doute la meilleur fiction traitant de la guerre d'Algérie, mais aussi une vision nette des conflits à venir, comme l'atteste une certaine ressemblance avec le languissant Jarhead. Et ce portait tragique d'une guerre sans fondement, n'est que mieux réussie encore grâce à la mise en scène sobre de son auteur, et une direction d'acteur absolument renversante d'intensité. De « jeunes gueules » du cinéma hexagonale qui s'appelaient Jacques Weber (le communiste fort en gueule), Jean-François Balmer (le pragmatique qui passera à l'acte), Jacques Villeret (l'eternel passif) et bien entendu Jacques Spiesser reflet autant physique que psychologique du cinéaste.
Cette proximité avec le parcours difficile du jeune premier, Boisset le met encore plus avant dans sa fidèle adaptation du roman d'Yves Gibeau : Allons z'enfant. Un récit autobiographique pour un romancier qui en restera à jamais traumatisé, un véhicule intime pour le second (encore une fois il y a un air de ressemblance entre Boisset jeune et Lucas Belvaux, futur réalisateur de La Raison du plus faible) qui aborde l'endoctrinement de jeunes garçons dans les écoles d'enfants de troupes qui faisaient la « grandeur » du pays à l'orée de la Seconde Guerre Mondiale. Ironique forcément. Une fois encore, l'antimilitarisme de l'œuvre ne fait pas de détours, le film marque surtout pour son illustration du nationalisme raz des égouts, représentés par des généraux vomissant la culture (littérature et cinéma autres que propagandistes), glorifiant une virilité pathétique (excellent Jean-François Stévenin en instructeur brute) et surtout une culture « française » totalement rétrograde. Annonçant son futur symbole du beauf ultime (et donc dangereux, comme le FN) dans l'indispensable Dupont Lajoie, Jean Carmet est déjà parfait en papa nostalgique d'une gloire fantasmé, poussant la diatribe du con « aaah ces jeunes il leur faudrait une bonne guerre » jusqu'à y sacrifier son fils. R.A.S. et Allons z'enfants sont comme deux films qui se répondent, entretenant un lien d'autant plus triste qu'il démontre qu'entre les générations, les choses ne changent pas tant que ça, l'état préférant écraser l'individualité au profit d'une instrumentalisation calculée, tandis que la masse plie l'échine bêtement.
Deux tragédies historiques à hauteurs d'hommes, à la fois cinglantes et humbles, qui démontrent de l'importance de la démarche « engagée » d'un cinéma aussi essentiel qu'était celui d'Yves Boisset. Un réalisateur sans frontière, adepte du cinéma de genre et du polar politique français cher aux années 70 /80, et dont l'une des grandes prouesses fut de signer l'une de nos trop rares œuvres d'anticipations, dans un pays qui n'a jamais vraiment gouté à la SF. Le film ne fait d'ailleurs jamais dans l'esbroufe, préférant mettre en avant une certaine sécheresse dans son découpage, quelques décors urbains modernes «hors du temps» pour crédibiliser un contexte fascisant où le gouvernement détourne la populace de la crise en les abreuvant d'une émission de téléréalité célébrant soi-disant l'héroïsme, mais s'abreuvant surtout de la mort de ses candidats : Le Prix du danger. Un film qui dès 1983, dénonçait les futures dérives de la privatisation de la télévision publique (TF1, M6.... Que du bonheur...) et l'émergence de la télé poubelle dissimulant sous des bons sentiments une réactualisation des jeux du cirque de la décadence romaine. Secret story, Koh-lanta, Pekin Express, Les Chtis à Miami... et une mise à mort qui n'est pas toujours si symbolique. Offrant à Gérard Lanvin une nouvelle figure de héros prolétaire qui "en a dans le pantalon", il lui confronte un ébouriffant Michel Piccoli en animateur sirupant cumulant tout le mauvais goût et les paillettes des années La 5, et surtout un discret Bruno Cremer dirigeant de chaine manipulateur plaçant le sacro-saint audimat au-dessus de toute morale. Les amateurs d'action bodybuildés reconnaitrons sans doute là le crétin Running Man avec Arnold Schwarzenegger, remake non déclaré (voir l'interview de Boisset sur notre site) et à des kilomètres de la finesse furieuse de son modèle. Un film de genre extrêmement efficace, et surtout traversé d'un humour noir absolument réjouissant, qui n'en entame en rien une vision fataliste.
Car si le cinéma d'Yves Boisset est un cinéma de révolté, d'homme en colère, ses héros les plus positifs finissent toujours par être rattrapés par la réalité, broyé par la machine qu'ils ont tenté de combattre, de dénoncer : morts sur un champ de bataille pour une guerre qu'ils rejetaient (R.A.S. et Allons z'enfants), ou interné pour avoir tenté de faire éclater une vérité (Le Prix du danger). C'est clair, des cinéastes de cette trempe, on aimerait en revoir de nos jours.








