Le moins que l'on puisse dire, c'est que Martin Scorsese a le sens du contraste. Tout juste sorti de Hugo Cabret, fable bouleversante sur les fantômes du passé et la magie du Septième Art, le cinéaste décide ainsi de renouer avec les penchants les plus provocateurs de sa filmographie.
Suite officieuse des Affranchis et de Casino, à la différence près qu'il explore ici le plus légalisé des univers mafieux, Le Loup de Wall Street se montre aussi excessif qu'Hugo Cabret pouvait être élégant. Se débarrassant volontiers de toutes les règles narratives les plus élémentaires (cf. l'emploi de la voix off et des regards caméra), Scorsese joue ouvertement de ses changements de ton réguliers, le récit empilant les séquences les plus virtuoses et les plus dingues avec une frénésie quasiment primale. S'il semble souvent expérimenter ou provoquer pour la seule beauté du geste, appelant une réaction viscérale et un éclat de rire toutes les quinze secondes (sincèrement, le rythme n'est parfois pas si éloigné que ça d'une parodie des ZAZ), Le Loup de Wall Street a néanmoins la pertinence d'embrasser son sujet sans autre filet de sécurité que la grâce d'une mise en scène constamment virtuose.
Plongée dans le quotidien de boursicoteurs aux dents longues, dont la seule ligne d'horizon ressemble à la tranche d'un billet de cent dollars, le film fait le choix culotté d'observer ses excès du point de vue des intéressés eux-mêmes, le seul commentaire moral se retrouvant contenu dans une structure en trois actes narrant l'élévation fulgurante et la chute inexorable des nombreux protagonistes. Loin de se limiter à une dénonciation pompeuse de l'appât du gain, Le Loup de Wall Street se risque à une approche plus nuancée du problème, la description peu glorieuse du système bancaire dans son ensemble étant contrebalancée par de vrais coups d'éclat du personnage central, dont le génie dans l'art d'exploiter les outils mis à sa disposition pour gagner de l'argent reste impressionnant. Brouillées lorsque Scorsese le suit dans sa quête effrénée de brouzoufs, ses motivations sont intelligemment expliquées par contrastes, lorsque le cinéaste filme brièvement le quotidien d'un agent du FBI habitué - comme tout un chacun - à dépenser son maigre salaire dans les transports en commun. Allégorie à lui seul des notions complexes de capitalisme sauvage et de "Happy Few", partant régulièrement dans des discours comparables aux prêchi-prêcha d'un authentique gourou, Jordan Belfort (extraordinaire Leonardo DiCaprio) est donc bien un héros à la Scorsese, à la fois détestable, charmeur, tragique et terriblement fascinant.



