En dents de scie voire franchement désarçonnante, passant du film de super-héros méta (Iron Man 3, parcouru d'autant de fautes de goût que de fulgurances stylistiques) au Space Opera kitsch à souhait (Thor - Le Monde des ténèbres, qui avait le mérite de redorer malgré lui le blason de l'original), la Phase 2 du Marvel Movie Universe parvient enfin à resserrer son propos et brandir des enjeux cohérents grâce à la séquelle très attendue de Captain America.
L'une des réussites immédiates du long-métrage est d'ailleurs de se poser en suite directe à la fois de l'excellent serial de Joe Johnston et du tonitruant Avengers de Joss Whedon, les trames de l'un comme de l'autre trouvant un écho salutaire dans le script de Christopher Markus et Stephen McFeely. Mieux : les intrigues paranoïaques esquissées par Whedon s'imbriquent avec une fluidité inattendue dans la mythologie du film original, le SHIELD et le fantôme de l'une vieille entité convolant ici en noces illicites, donnant naissance à un nouveau pouvoir réellement cauchermardesque. Derrière le plan machiavélique fomenté par ses bad guys aux allures de bureaucrates (le personnage éponyme n'est que la partie émergée de l'iceberg), le film fait basculer l'univers Marvel dans un registre de thriller politique adulte, les scénaristes puisant dans les codes du film d'espionnage matière à dénoncer les dérives actuelles de la NSA et ses manœuvres sécuritaires les moins libertaires. Alors que Steve Rogers découvre son incapacité à se fondre dans un monde gouverné par le mensonge et la manipulation ("tu ne sais pas mentir", ironisera la veuve noire), Captain America - Le Soldat de l'Hiver se meut progressivement en pamphlet engagé et ludique sur l'héritage du Patriot Act. D'un producteur timoré comme Kevin Feige, on était loin de s'attendre à cela.
De cinéastes jusqu'ici aussi transparents que Joe et Anthony Russo, on était également loin d'attendre des choix formels aussi radicaux, Le Soldat de l'hiver troquant luxe et surenchère contre une approche naturaliste du champ de bataille et des chorégraphies brutales. S'imposant comme le Die Hard 3 du film de super-héros, toutes proportions gardées évidemment, le film accumule ainsi les morceaux de bravoure à la fois chaotiques, captés sur le vif, et menés avec une virtuosité de tous les instants. D'une libération d'otage musclée en haute mer à une séquence d'attentat virant à la poursuite effrénée, d'un combat à un contre quinze dans un ascenseur étroit (comme dans... Die Hard 3) à un gunfight urbain décomplexé, les frères Russo appuient sur le champignon avec une excitation communicative, comblant au passage les ellipses dramatiques de l'après-Avengers. En prêtant au personnage central des mouvements d'arts martiaux ou de parkour, les nombreuses scènes de castagne racontent en elles-mêmes une histoire, dévoilant par une infinité de détails chorégraphiques (l'utilisation offensive du bouclier, les techniques d'infiltration héritées des Navy Seal, le maniement des armes blanches ou encore un jeu de jambes très singulier) le travail d'adaptation de Steve Rogers au monde moderne. Se servant, et c'est un comble, de leur cahier des charges spectaculaires pour nuancer et enrichir leur propos et leur univers, les frères Russo refusent de sombrer à quelque moment que ce soit dans des écarts comiques du genre « Fish out of water », un postulat cliché que n'avait pas réussi à éviter le Thor de Kenneth Brannagh. Osant bouleverser dans sa conclusion l'ensemble de l'univers cinématographique Marvel, tout en ramenant in extremis son point de vue à une échelle strictement humaine (de fébriles notes de piano remplaceront les envolées d'orchestre, et le crash annoncé d'un vaisseau de guerre sera relégué hors-champ), Captain America Le Soldat de l'Hiver ne manque ni de charisme, ni d'audace ; il nous tarde d'autant plus de découvrir ce que nous réserve Guardians of the Galaxy (ça on sait maintenant), Avengers : Age of Ultron... et Captain America 3.




