Cinéaste rare et précieux, Isao Takahata revient enfin après 13 ans d'absence et outre une participation au documentaire Jours d'hivers, l'auteur de Nos voisins les Yamada manquait cruellement au Studio Ghibli. Et le merveilleux Le Conte de la Princesse Kaguya, vient rappeler à quel point le maitre cultive un cinéma d'animation aussi poétique que totalement atypique.
Différent déjà parce que au contraire de son grand ami Hayao Miyazaki, Takahata n'est pas un dessinateur et se détache donc depuis ses débuts d'un style visuel identifié et marqué. Et c'est loin d'être un défaut puisqu'ainsi chacun de ses films est approché avec un style et un trait totalement différent, en accointance avec le sujet désiré. Le réalisme de la ligne claire dans Le Tombeau des lucioles, le contraste entre l'école Ghibli et le shojo dans Omoide Poroporo, les rondeurs enfantines de Pompoko jusqu'à l'épure de Nos Voisins les Yamada se réappropriant directement le trait du strip de Hisaichi Ishii. Plus fouillées, plus éblouissantes, les illustrations du Conte de la Princesse Kaguya en découle pourtant directement, reprenant avec naturel et une finesse rarement atteinte, la subtilité et l'évanescence des grandes estampes d'autrefois autant que la simplicité apparente des premiers grands classiques du cinéma animé japonais comme Le Serpent Blanc, sur lequel justement Takahata avait œuvré. Le rendu est constamment renversant de beauté, intégrant fermement cette sensation d'esquisse, de peinture à l'eau, à une animation d'une fluidité et d'une richesse fascinante (la fuite dans la neige et ses traits qui « s'échappent »), qui donne vie aussi bien à une nature foisonnante (les saisons au cœur du dispositif), qu'au fourmillement pourtant épuré à l'extrême de la vie à la cité.
Une certaine reconstruction d'un art, allant à l'encontre de la mouvance contemporaine de l'animation 3D qui se veut si réaliste, et qui rejoint idéalement le choix d'adapter un illustre conte du folklore japonais du Xe siècle, imaginé par une courtisane impériale. Sous des dehors de fable naïve (la petite fille née dans un bambou), le film s'avère ainsi autant un grand hymne fervent à la nature, voir au « paradis perdu », qu'une leçon morale (et non une leçon De morale) sur les diktat sociaux, la course irréfléchie au luxe et la perte de liberté qui en découle. Des thèmes qui rejoignent bien évidemment ceux si chers à Takahata, qu'il aborde d'ailleurs frontalement, reprenant épisode après épisode chaque jalon du conte, quitte parfois à étirer un peu trop certaines séquences. De très légères chutes de rythme, qui n'entame pas vraiment la force évidente de l'œuvre, délicieuse féerie se prêtant volontiers à la comédie (les prétendants précieux et ridicules de la belle princesse, ses facéties pour s'échapper des carcans de la noblesse), à la contemplation festoyante d'une nature campagnarde et bien entendu à une certaine dureté métaphysique lorsque le destin fataliste de la jeune fille prend un tour tragique. Isao Takahata signe sans doute là sont dernier dessin animé, une tristesse soit, mais avec Le Conte de la Princesse Kaguya, il a bien mérité sa vénérable retraite.





