Pop, inattendu, frais, pêchu, virevoltant... Kingsman : Services Secrets est une sacrée réussite. Décrassage en règle du cinéma d'espionnage à la sauce « british », le film se joue des références avec une aisance déconcertante et impose définitivement Matthew Vaughn comme un « entertainer » de première classe. On en cause ? Of course.
Niveau cinoche, Il s'en est passé des choses chez les barbouzes... Depuis une dizaine d'années, la franchise 007 suit une ligne épurée, décharnée jusqu'à l'os, tandis qu'un agent ricain, un certain Jason Bourne, a fait son trou dans le paysage secret-défense à grand coups de tatanes bien placés et de bourres-pifs hyperréalistes. Nouveau venu à l'arrogance rafraichissante, Kingsman : Services Secrets opte quant à lui pour le décalage, l'invraisemblance exotique et la bonne grosse déconne. Et ça fait un bien fou. Dès la scène d'ouverture, un canardage aérien filmé au son du tube FM « Money for Nothing », Kingsman joue la carte de la connivence et déroule sans attendre son récit d'apprentissage avec une fluidité qui donne la banane.
Adaptation du comic book The Secret Service de Dave Gibbons et Mark Millar (dont Vaughn avait déjà adapté la bande-dessinée Kick-Ass), Kingsman possède ce petit truc en plus propre aux grands films de divertissement. L'intrigue ne connait aucun temps mort et nous intéresse à la trajectoire atypique d'Eggsy (le truculent Taron Egerton, à suivre de près), une petite frappe de l'East End à qui l'on va soudain apprendre les bonnes manières... et l'art de flinguer son prochain. Recruté par un classieux espion (Colin Firth, plus flegmatique tu meurs), Eggsy va devoir passer toute une série de tests afin de prendre la place de son défunt père (qu'il n'a jamais connu) au sein de Kingsman, une mystérieuse agence de renseignements. Situé dans les sous-sols d'une échoppe de la mythique Savile Row, LA rue des tailleurs londoniens, cet équivalent underground du MI6 cher au commandeur Bond est une école de l'excellence. Mais attention, intégrer ses rangs n'est pas chose aisée. En compétition avec une bande de rookies à l'ambition plutôt agressive, Eggsy devra faire preuve de fougue et de malice s'il veut en devenir membre. Car in fine, un seul sera choisi.
De film en film, le britannique Matthew Vaughn fait bouger les lignes au sein du petit monde hyper-formaté des blockbusters. Formé comme producteur auprès de Guy Ritchie notamment, Vaughn s'est imposé en tant que cinéaste avec le polar Layer Cake (qui, ironie, révéla Daniel Craig), le conte ébouriffant Stardust, puis Kick-Ass, cette grosse claque geek, et X-Men : Le Commencement, probablement le meilleur opus de la saga consacrée aux mutants de chez Marvel. Action-movie au charme immédiat, Kingsman compile avec fun et fureur tout ce que l'on appréciait déjà chez Vaughn : une façon bien à lui de jouer avec la culture populaire et les codes de l'inconscient collectif, un sens certain de l'acrobatie filmique, une gouaille communicative, un goût prononcé pour l'effronterie, des références permanentes à la bande-dessinée, à la musique et bien évidemment au 7ème art... Et puis il est l'un de ceux qui retranscrit très finement les émois adolescents : excepté Layer Cake, tous ses films mettent en scène le parcours initiatique de jeunes filles ou de jeunes hommes en plein questionnement existentiel. Kingsman poursuit totalement dans la tendance.
En seulement un ou deux plans, une ou deux scènes d'exposition, Vaughn décrit parfaitement le quotidien typiquement LAD et un poil morose d'Eggsy. Et son catapultage au sein de l'agence Kingsman n'en est que plus savoureux. Une fois sur place, fini le survet' pourave, à lui les costards en tweed, les pompes lustrées et le style « so chic » d'un lord anglais. Cet art de la confrontation et du choc des cultures constitue la qualité première du film. Et la relation qu'entretient Eggsy avec le personnage de Colin Firth, pleine de quiproquos et d'anachronismes, est vraiment bien troussée. D'ailleurs, le choix du casting est tiptop : Samuel L. Jackson campe un méchant d'anthologie, génie du mal bling-bling doublé d'un ado attardé adepte des menus best of Big Mac, le toujours excellent Mark Strong incarne un superintendant coriace et pince-sans-rire tandis que Sir Michael Caine apporte cette étincelante touche vintage qui cimente l'ensemble. Et puis, cinématographiquement parlant, Kingsman envoie le pudding. On dirait du Bond sous stéroïdes, du Tex Avery mâtiné de Roald Dahl. Pas de temps à perdre, en une fraction de seconde, nos héros (dont les noms de codes sont inspirés de la légende du Roi Arthur et ses Chevaliers de la Table Ronde) passent des sommets enneigés d'une colossale chaîne montagneuse aux rames obscures du tube londonien, voyagent à bord de Rolls remplies de gadgets tous plus kifants les uns que les autres, de trains supersoniques, de pods stratosphériques, de jets qui partent en vrille... L'action est menée de main de maître, ça pétarade sec, ça castagne façon Matrix en défiant constamment les lois de l'apesanteur et les adversaires ressemblent à des vamps sexy en combinaison latex ayant troqué leurs talons aiguilles contre des lames affutées. Bref, n'hésitez pas: Kingsman's got the ticket to ride.







