Valeur sûre du cinéma fantastique et du studio Hammer en particulier, Dracula aura été incarné sept fois par l'immense Christopher Lee. Troisième et quatrième opus de la «série», Dracula et les femmes et Une Messe pour Dracula se situent directement au point de bifurcation de l'histoire du studio anglais.
De 1958 à 1968 la Hammer aura régné en maitre sur le cinéma d'épouvante peuplant les grands écrans de créatures mythiques, revisitées avec un gothisme flamboyant, le plus souvent porté par l'illustre Terence Fisher et ses collaborateurs. Le bal avait été ouvert par sa première adaptation de Dracula (qui suivait de près Frankenstein s'est échappé) qui ne connaitra finalement de suite que huit ans plus tard avec le bestial Dracula, Prince des ténèbres. Outre l'incarnation silencieuse mais terriblement charismatique de Christopher Lee, cette nouvelle légende reposait sur un érotisme latent, mais très troublant, et un classicisme présent, mais bousculé par la nature animale du vampire. Arrivé à ce point, Terence Fisher prend naturellement ses distances pour ne pas tomber dans la répétition et laisse le soin à ses collègues d'apporter leurs propres pierres à l'édifice. Une succession d'autant plus difficile que nous sommes en 1968 et que la société, autant que le cinéma de genre, s'apprête à connaître d'immenses chamboulements.
On en aperçoit que de très légères traces dans le Dracula et les femmes (en fait il n'y en a que deux) de Freddie Francis, metteur en scène très doué sur le thriller pré-giallo Paranoiac, moins remarquable déjà sur L'Empreinte de Frankenstein. Une simple histoire de vengeance un peu surannée dans laquelle le comte, agacé par une croix apposée sur la porte de sa demeure, poursuit l'homme d'église qui a commis l'infamie, tout en prenant le temps de séduire sa nièce, la charmante Veronica Carlson. Le scénario, assez leste, témoigne tout de même des remous de ses contemporains en s'attardant sur les fêtes étudiantes très alcoolisées dans l'auberge du coin, mais aussi de la rébellion de ces derniers via le personnage de Paul (Barry Andrews vu dans L'Espion qui m'aimait), qui n'hésite plus à s'affirmer comme athée et à contourner les règles d'une société vieillissante. Petit film de série dans son déroulé, mais offrant tout de même quelques jolis moments d'horreur (l'ouverture entre autres), Dracula et les femmes est surtout mémorable pour la beauté de ses cadres et ses expérimentations photographiques. Si l'image est officiellement concoctée par le solide Arthur Grant (Quatermass and the Pit, Les Vierges de Satan), elle est aussi à porter au crédit de Freddie Francis, directeur photo très efficace que l'on reverra sur Elephant Man ou Dune, et qui réutilisait ici un dispositif expérimentée sur le chef d'œuvre Les Innocents (Jack Clayton; 1961) : un filtre, ici de couleur rouge doré, qui vient impacter la pellicule du jaillissement des forces du mal. Superbe visuellement, mais un peu creux pour une production Hammer, Dracula et les femmes semble déjà en retard sur son époque, puisque la même année le cinéma américain s'apprête à traumatiser le monde avec La Nuit des morts-vivant (George A. Romero) et Rosemary's Baby (Roman Polanski).
Exit les musiques tonitruantes, l'horreur en costume et les timidités thématiques, le cinéma d'horreur vient de passer à la vitesse supérieure... ce qui ne risque pas de s'arranger avec les futurs L'Exorciste ou Massacre à la tronçonneuse. C'est le grand virage pour la Hammer, de son âge d'or à son lent déclin, totalement incapable de rattraper la modernisation en cours. La preuve, en un sens, avec le grand retour de Dracula en 1970 pour un nouveau Une Messe pour Dracula (Taste the Blood of Dracula) qui invoque une fois encore la posture digne et froide de Christopher Lee tout autant qu'un décorum gothique élégant, classieux, mais qui pour les spectateurs de l'époque commence à dater un peu. Le métrage n'est pourtant pas exempt de chamboulements. Dans les coulisses déjà puisqu'il réunit à lui seul quasiment toute la nouvelle garde de la Hammer, celle qui va jouer la surenchère durant la décennie : l'excellent Ralph Bates, nouvel acteur fétiche que l'on reverra sur Dr Jekyll & Sister Hyde ou même reprendre la défroque du savant fou pour Les Horreurs de Frankenstein ; le plus discret Anthony Higgins, vampire déviant dans Le Cirque des vampires et surtout grand méchant du génial Le Secret de la pyramide ; et le cinéaste moins statique Peter Sasdy qui signera le fripon Comtesse Dracula et le psychanalytique La Fille de Jack l'éventreur.
L'amorce de cette accentuation du gore et de l'érotisme est ainsi déjà bien présent dans le 4ème opus de Dracula, qui s'attarde généreusement sur les plaies ensanglantées, mais aussi et surtout sur la plastique du casting féminin, mené par une délicieuse Linda Hayden (La Nuit des maléfices) tout à fait capable sous son visage de blonde adolescente de laisser exploser sa flamme charnelle. Un film ouvertement troublant, où Christopher Lee retrouve pleinement le visage bipolaire de SON Dracula, créature omniprésente mais discrète, capable d'authentiques explosions d'une fureur destructrice. Mais finalement, ici, Dracula n'est pas le pire être à apparaître à l'écran, se faisant presque voler la vedette par un trio de patriarche en quêtes de sensations extrêmes. Les modèles s'effondrent et ces trois bourgeois "bien sous tout rapport", voir carrément puritains dans leur rapport avec leur progéniture, se rendent une fois par moins au bordel de la ville pour se vouer à la débauche. Une quête qui va leur faire croiser un jeune noble désavoué (Ralp Bates en l'occurrence), qui va les entrainer dans une authentique messe noir et permettre la résurrection du comte immortel. Les figures d'autorité en prennent un sacré coup, et le maitre des vampires en deviendrait presque un père de substitution, attirant sous sa cape leur jolies filles dans une relation maitre/esclave jamais très loin de la figure incestueuse. Tout en préservant les grands codes de l'école Hammer, Une Messe pour Dracula démontre de la vitalité survivante du studio et de son goût immodéré pour le cinéma d'exploitation sanglant.






