Autrefois distribué succinctement en VHS sous le titre Jour maléfique, Journée noire pour un bélier est un giallo rare en France, pourtant des plus respectables d'autant plus qu'il affiche un Franco Nero magnétique.
Un essai du genre assez méconnu, sans doute parce que son réalisateur ne peut se vanter, comme nombre de ses collègues, d'une filmographie à rallonge. Peu de films donc, mais des productions aussi étonnantes et particulières que L'Homme, l'orgueil et la vengeance avec Nero et Klaus Kinski dans lequel il revisite en mode western l'opéra Carmen, ou le thriller mâtiné de SF Le Orme. Au milieu de ces deux là trône fièrement son unique giallo comme pour apporter sa pierre à un édifice qui en ce début des années 70 ne cessait de s'imposer depuis le succès de L'Oiseau au plumage de cristal. Journée noire pour un bélier partage d'ailleurs avec l'œuvre séminale de Dario Argento la présence du grand directeur de photographie Vittorio Storaro (Apocalypse Now, Ladyhawke) qui sculpte un décorum contemporain avec un mélange de réalisme froid et de travail renversant sur le clair-obscur, qui presque à lui seul distille une sensation inquiétante, légèrement horrifique, en particulier sur un final magnifique reposant uniquement sur les jeux de lumière. Il faut dire que de son coté Luigi Bazzoni approche le genre avec une économie certaine, reprenant certes les codes attendus (mains gantées, respiration et voix off du tueur, vue subjective en grand angle), mais reste volontairement très succinct sur les effets chocs. Les meurtres sont parfaitement cadrés, imposent un suspens tendu, mais ne s'achèvent jamais dans un débordement d'hémoglobine.
Là où d'autres auraient choisi la surenchère pour se donner du coffre, Bazzoni préfère s'assoir sur un scénario complexe et maitrisé et des personnages bien campés, creusés, où surnage forcément monsieur Franco Nero (Django) imparable en journaliste borderline tombant régulièrement dans le cul de la bouteille. Les personnages secondaires sont nombreux et traversent le film avec plus ou moins d'impact, mais le jeu sadique qui se crée entre l'antihéros Andrea Bild, rapidement suspecté à son tour, et le tueur invisible, franchement trouble, est assez prenant. Un angle plutôt rare dans le giallo, où là aussi la séquence d'ouverture fragmentée, contient toutes les réponses, et qui du coup fait plus glisser le film du coté du thriller policier que de l'horreur graphique. Comme un contre-point où d'ailleurs l'élégance esthétique de la caméra, contraste constamment avec la vision excessivement moderne de la cité italienne où se déroule l'action, le cinéaste met de coté les bâtiments historiques et la virtuosité architecturale, préférant scruter les rues cradingues, les constructions dépotoirs et une pauvreté omniprésente. Des gamins qui jouent dans un terrain vague perdu sous la poussière, une jolie prostituée qui enchaine les clients sous un pont, un tunnel aux faux-airs de sortie d'égout, Luigi Bazzoni ne dresse pas un portrait charmeur de son pays, révélant bien entendu au cours de l'enquête les manipulations et pratiques malsaines d'une élite sordide. Une noirceur constamment palpable, presque physique, ou l'amorce d'une décennie transalpine désenchantée.



