Si on évoque facilement les débuts de sa carrière cinématographique avec son rôle inoubliable de Michael Corleone dans Le Parrain, le premier coup d'éclat d'Al Pacino fut pourtant Panique à Needle Park, drame cru et intemporel sur les ravages de l'addiction.
Un thème fort, mais difficile, surtout en ce début des années 70 où le milieu de la drogue passe d'un bord à l'autre en fonction des productions : soit un alibi pour une affaire criminelle, soit une vision plus fantasmée, encore proche des mouvements Flower Power. Le projet ne se montera pas sans mal, subira la censure en Angleterre et aux USA, sera souvent mal reçu en fonction que le critique soit de droite ou de gauche, mais en tout cas, présenté à Cannes Panique à Needle Park fit largement sensation. Déjà auteur d'un premier Portrait d'un ange déchu, exploration des élans autodestructeurs d'une mannequin, l'ex-photographe de mode et de stars (il collabora avec les Stones, Dylan ou Andy Warhol), Jerry Schatzberg délaisse définitivement toute trace de pointes esthétisantes, de dispositif visible, optant pour une réalisation excessivement proche des personnages, profondément intime et directe, à la limite du documentaire. Ainsi, la plupart des extérieures à New York ont été directement arrachés à la réalité de la rue, la photographie d'Adam Holender (Macadam Cowboy) joue essentiellement sur des lumières froides et des teintes grises, tout juste rehaussées de pointes de rouges. La caméra, elle, hésite entre des plans en longue focale (jeunes gens perdus dans la cité) et des gros plans extrêmement construits appuyant l'idée de l'emprisonnement, d'une fatalité inéluctable.
Si d'apparence première la réalisation de Jerry Schatzberg peut ainsi sembler impersonnelle, voir invisible, elle est surtout discrète et habile, permettant à ses personnages, et plus encore à ses acteurs, d'exister pleinement à l'écran. Un jeune couple de quasi-débutants (mais déjà remarqués au théâtre) formé par la fragile Kitty Winn (revue dans L'Exorciste et sa 1ère suite) et surtout Al Pacino, absolument renversant d'énergie et de nuances, transmettant quasiment tout par les regards. Un duo qui habite le cadre avec une justesse et une humanité impressionnante, donnant alors l'impulsion à un drame profond, mais jamais mélodramatique, excessif. Chaque scène illustre à la fois leur amour inconditionnel autant que leur lente descente dans les affres de la drogue, alors que justement une pénurie de substance provoque une réelle panique dans le quartier. Petites débrouilles, vols divers, puis forcément rapprochement avec la grande délinquance et la prostitution, rien ne leur sera épargné, mais l'illustration reste constamment logique, véridique. Jusque dans les scènes de "shoot" justement, aux réactions et plans d'injections, assez éprouvants, ou une impressionnante overdose de Pacino, provoquant un chaos total dans la chambre d'une amie prostituée alors que son bébé braille seul sur le lit. Des images que l'on a depuis retrouvé presque tel quel dans d'autres films comme Bad Lieutenant, Trainspotting ou Requiem for a Dream, installant Panique à Needle Park comme le modèle des films sur le sujet.
Documenté donc, difficilement attaquable sur sa « reconstitution », ce dernier n'aurait pas la même porté s'il ne nous faisait pas tant aimer ces deux âmes égarées, avec, entre autre, cette courte séquence incroyable, où lui découvre qu'elle aussi se drogue désormais. Un échange de regard où tout passe : d'un amour total à un désespoir écrasant mais empathique. Bouleversant.




