Boudé, voir conspué à sa sortie, L'Autre semblait déjà être une œuvre à rebours en 1972, loin de l'avènement du Nouvel Hollywood et d'un cinéma horrifique en train de changer de visage. L'Exorciste ou Massacre à la tronçonneuse s'apprêtaient à terrifiert leurs contemporains, le film de Robert Mulligan n'avait pourtant rien de la charmante ballade bucolique.
En tant que réalisateur Peter Mulligan n'a de toute façon jamais satisfait les critiques et les analystes, changeant de genre à volonté, passant de la chronique familiale intimiste (Du silence et des ombres) au western (L'Homme sauvage), en refusant presque systématiquement une certaine forme d'esbroufe. Sa mise en scène est constamment simple en apparence, fluide, au service du sens et de ses personnages. Un choix grammatical du coup assez décontenançant dès lors que l'on s'attaque, pour la seule et unique fois de sa carrière, à l'adaptation d'un roman horrifique : Le Visage de l'autre, écris par l'ex-acteur Thomas Tryon à qui on doit aussi la nouvelle Fedora (qui sera adapté par Billy Wilder) et le terrifiant La Fête du maïs. Pourtant le glissement de terrain est presque naturel, Mulligan sortant alors du tournage de son film le plus populaire, Un été 42, célébrant déjà une certaine image de l'Amérique campagnarde où le soleil peine à dissimuler les désordres moraux et sentimentaux. Avec L'Autre il pousse cette logique plus loin encore, présentant avec délicatesse un Connecticut lumineux, chaud et estival, ou deux frères jumeaux s'inventent des aventures dans la grange et les environs. Niles a cependant un pouvoir, façonnée par sa grand-mère (l'excellente Uta Hagen, qui a formée Matthew Broderick, Sigourney Weaver ou Al Pacino), lui permettant de se connecter avec les animaux (sublime séquence d'envol) ou l'immatériel.
Un jeu, comme elle le présente, mais peut-être en lien avec les drames qui s'accumulent progressivement dans la petite vie de la famille : le cousin qui s'empale sur une fourche, la mère qui chute dans les escaliers... Le malaise et la tension monte, Stephen King ne sortira son premier roman que deux ans plus tard, mais d'une certaines façon, on le sent déjà pas loin. Un drame doucement simple, qui sombre graduellement dans une horreur de plus en plus envahissante, jusqu'à un final profondément malsain, où Mulligan joue constamment sur les dualités, les miroirs en opposition. Celle d'une photographie riche et doucereuse tout d'abord, reflet d'une nostalgie de l'enfance plutôt que des tragédies qui s'accumulent, du silence de plomb apposée sur les morts successives, mais dont le deuil impossible ne cesse de hanter chaque image, et enfin bien entendu celle des frères Perry. L'un est fantasque et charmant, l'autre agité voir mauvais et s'ils sont interprétés par d'authentiques jumeaux (Martin et Chris Udvarnoky, dont ce sera la seule apparition à l'écran malgré la justesse de leur prestation), ils ne figurent jamais dans le même plan, comme si un effet spécial ou une astuce de montage les accolaient dans la même réalité. Pour un spectateur des années 2000, le mystère qui entoure L'Autre risque d'être aisé à percer tant l'essai a inspiré les décennies suivantes, mais l'enjeu est-il vraiment là ?
Travaillant constamment la question du point de vue, plus que subjective, de l'enfant, Mulligan donne une âme à son protagoniste, le rend foncièrement attachant, même lorsque ce dernier prend la main du spectateur pour l'entrainer dans ses ténèbres. Plus qu'un film d'épouvante, L'Autre devient alors un voyage mélancolique (avec une délicate musique signée Jerry Goldsmith) dans les méandres d'un mal insaisissable.



