Très peu visible en France, et en tout cas jamais avant aujourd'hui dans sa version uncut, Terreur sur la lagune, aka Solamente Nero, profite de la superbe édition Bluray / DVD / CD du Le Chat qui fume pour se rappeler à notre bon souvenir. Un giallo élégant, troublant qui surnage clairement au dessus de la mêlée de cette toute fin des années 70.
Clairement, qui en dehors des spécialistes se souvenant des sorties de l'époque ou scrutant l'import et les box DVD italien ou US, se souvient aujourd'hui du réalisateur Antonio Bido ? Un jeune artisan obligé de se perdre rapidement dans la chronique comique (Barcamenandoci) ou les coproductions improbables (Blue Tornado), mais qui pourtant à ses débuts affichait un amour évident du thriller italien, définitivement marqué par les expérimentations traumatiques de Dario Argento, plus que par la pléthore de succédanés pas toujours à la hauteur, mais aussi par la mise en scène redoutable d'Alfred Hitchock ou le film noir. Ces ambitions, déjà marquées dans le précédent Il gatto dagli occhi di giada (toujours inédit chez nous), s'impose avec vigueur dans son second long métrage qui rejette finalement tous les excès de ses contemporains, bien occupés à achever un genre en perte de vitesse. On trouvera certes une scène de sexe assez inutile et frontale, mais elle ne souffre d'aucune complaisance, et les meurtres en eux même vont à l'essentiel, parfois violents et cruels, mais jamais gores. Non, Bido préfère manifestement travailler ses ambiances, jouant sur le décor théâtrale et hors du temps de Murano (petit village dans la périphérie de Venise), faisant contraster une photographie subtile et naturelle signée Mario Vulpiani (La Grande bouffe) avec quelques explosions gothiques tournées en studio (le premier meurtre, la scène dans le cimetière), tirant constamment cette enquête policière vers les rives de l'étrange, de l'inquiétant. On est d'ailleurs jamais très loin du magnifique Qui l'a vue mourir ? d'Aldo Lado, et pas uniquement par son environnement.
D'ailleurs du giallo, Terreur sur la lagune a su en retenir les meilleurs codes et pas uniquement ceux de l'esbroufe. La mise en scène, minutieuse, mais surtout volontairement discrète, préfère distiller ses effets, jouer du montage ou de l'accumulation d'images obsédantes (le crime matriciel du générique, les tableaux naïf comme dans Les Frissons de l'angoisse) et laisser la place à une description décadente de la société italienne de l'époque. La fracture sociale en premier lieu, passant des ruelles grises et des petits bars enfumés, aux intérieurs cossues de la petite bourgeoisie, mais surtout cette idée sous-jacente que les hautes figures sont forcément coupables ou dissimulent un secret honteux. Un aspect « tous coupables » parfaitement maitrisé et qui va réussir à mener sa barque jusqu'à des révélations finales symbolisant, non sans ironie, cette cohabitation assez unique dans la culture italienne entre le grand ordre morale catholique et la roublardise païenne. Clairement Antonio Bido n'invente rien, mais réarticule à sa manière les fondations d'un genre passionnant, avec une belle maitrise, de la construction de ses cadres à sa direction d'acteur (le vétéran Craig Hill est surprenant en prêtre torturé). Il a su, qui plus est, s'entourer pour envelopper le tout dans une atmosphère assez mémorable, confiant la musique au très bon Stelvio Cipriani (La Baie sanglante, Tentacules) en plein glissement de compositions orchestrales vers un son plus électronique, plus discordant, interprété d'ailleurs par les membres du groupe culte Goblin. Quand on vous dit que le monsieur a du goût...


