Après les échecs retentissants, aussi bien publics que critiques, que furent Sorcerer (Le Convoi de la peur) et Cruising, et un passage aussi impersonnel qu'anecdotique du coté du divertissement populaire avec la comédie Le Coup du siècle, beaucoup auraient sans doute perdu totalement pied. Pas William Friedkin.
De ses questionnements, de ses recherches, de son incompréhension face à un cinéma trop lumineux pour lui, il en tire un nouveau projet en forme de retour. L'affiche américaine annonçait « The Director of French Connection is back on the street again » et si effectivement les deux polars cultivent de nombreux points communs propres justement à la vision du monde de Friedkin, entre 1971 et 1985 les choses ont bien changé. Et les réflexions stylistiques et politiques d'une décennie ont laissé la place à des blockbusters plus musclés et célébrant des héros triomphants si chères à Ronald Reagan. L'antithèse du cinéma de Friedkin en somme, lui qui ne scrute que la part d'ombre de ses personnages et s'efforce de dépeindre un monde en variation de gris, sombrant le plus souvent vers le noir. Peut importe, en s'emparant du très réaliste et véridique bouquin de Gerald Petievich (un ancien des services spéciaux justement), il semble de prime abord répondre aux sirènes des modes du moment, entre les couleurs et les lettrages pimpants magnifiés par la série Deux flics à Miami de Michael Mann et les codes décontractés du buddymovie comme l'annonce trompeusement une introduction montrant Chance et son mentor Hart empêcher un attentat contre le président des Etats-Unis. Tube eighties décompléxé signé Wang Chung à l'appui.
Mais bien entendu, To Live and Die in L.A. est un film d'action sans héros, une rencontre entre deux flics incapables de bosser ensemble, un polar sans véritable enquête (les vrais indices sont hors-champs), soit une œuvre profondément nihiliste gangrénée de l'intérieur, que Friedkin remodèle plan après plan à son image. Absolument brillant, déstabilisant, mais majestueux, le film rejoue donc, à l'instar de French Connection ou plus tard le bien nommé Traqué, la traque obsessionnelle d'un flic pour un truand, l'effet miroir troublant entre les représentants de l'ordre et bandits, le flou total quand aux valeurs morales dans un univers plus pernicieux que jamais. Sur fond de circulations de fausses monnaies signées par un artiste autodestructeur (ultra charismatique Willem Dafoe), le polar âpre s'engouffre dans une citée de béton, constituée de terrains vagues, d'horizons pollués, où tous les protagonistes avancent masqués, trompant sur les raisons de leur engagement, professionnel ou privé. Révélation absolue du métrage, William Petersen (futur Grissom de CSI) y incarne alors une tête brulée aux faux airs de Sonny Crockett, mais avide manipulateur et égoïste forcenée qui court à sa propre perte entrainant tous les autres dans son sillage. Jusqu'à une sortie de route aussi sèche que logique et définitive. Un film puissant, dans lequel Friedkin en profite pour rappeler ses qualités insatiables de véritable penseur du cinéma d'action américain, construisant chaque poursuite comme un exercice brulant (la scène dans l'aéroport) ou une démonstration de force surréaliste lorsqu'une simple fuite en bagnole devient une plongée vertigineuse dans un chaos total. Pour Friedkin, on ne vit à Los Angeles que pour y mourir.




