Auteur et cinéaste culte aux USA, constamment cité comme le grand maitre de la comédie américaine classique, Preston Sturges reste malheureusement trop méconnu en France, presque boudé à cause justement de son genre de prédilection et d'une carrière un peu trop courte : 14 films ramassés en 15 ans. En voici alors déjà six, restaurés pour l'occasion, et proposés dans un beau coffret par Wild Side Video.
Si aujourd'hui on se souvient le plus souvent des grandes comédies d'Howard Hawkes (L'impossible Mr Bébé), de George Cukor (Indiscrétions) ou Leo McCarey (Cette sacrée véritée), au cœur des années 40 les studios et les spectateurs ne répondent qu'au nom de Preston Sturges. Un auteur à succès venu de Broadway, qui à force de succès commerciaux en tant que simple scénariste va réussir à prendre la place (fait rarissime à l'époque) du réalisateur et même devenir l'un des hommes les mieux payé d'Hollywood. En coulisses sa vie est essentiellement constituée de comportements excessifs, l'homme étant autant connu pour sa générosité avec ses amis, son sens de la fête que ses grands coups de gueules, alors que justement son style, aussi ben écris que filmé, est d'une rigueur et d'une maitrise impressionnante. Ce qui marque le plus aujourd'hui un spectateur découvrant le cinéma de Sturges sur le tard, est justement cette rythmique imparable qu'il donne aux échanges dialogués et ces surprenantes modernité et véracité des mots choisis. Tout est écrit, fignolé, calculé, et pourtant les nombreux acteurs qui s'emparent de ses textes, stars ou homme de sa propre troupe, semblent presque improviser ou se lancer dans des échanges pris à la volée. La griffe d'un très grands dont beaucoup aujourd'hui encore se disent les héritiers sans en avoir forcément l'élégance.
Mais Sturges ne sera jamais un simple scénariste passé à la direction, et va véritablement révolutionner la mise en image du genre justement, achevant de surfer sur la vague de la screwball comedy menée, entre autres, par les frénétiques Marx Brothers, pour l'entrainer vers une approche plus parlante, presque plus mature serait-on tenté de dire, mais constamment teintée, voir survoltée, par des gags inspirés de l'univers Cartoon. Quitte d'ailleurs parfois à transformer nos acteurs réels en véritable personnages de dessins animés, comme c'est le cas de manière détournée dans le génial Madame et ses flirts (The Palm Beach Story) grande course-poursuite aussi délicieuse qu'improbable entre un mari, Tom, et sa femme, Gerry, incarné au passage par la jolie souris Claudette Colbert (New York Miami). Chute à foison, train de nuit transformé en terrain de chasse, quiproquo en chaines, final totalement délirant, le tout avec un sens du romantisme délicat et un regard pertinent sur la nature du couple. L'autre petit chef d'œuvre absolu du bonhomme est d'ailleurs pas bien loin, soit Un Cœur pris au piège (The Lady Eve), pure comédie romantique sur fond de relation impossible ou un inattendu Henry Fonda, tombe dans le traquenard bien agréable tendu par Barbara Stanwyck. Voir la star sérieuse de Les Raisins de la colère, 12 hommes en colère ou Il Etait une fois dans l'ouest enchainer les gags et les airs éberlués sans jamais perdre de sa superbe vaut plus que le détour.
Et s'il est souvent question de couple, de romance plus ou moins consommée, la filmographie de Sturges sait aussi légèrement dévier des contours commerciaux, n'hésitant pas à s'attaquer à quelques sujets plus difficiles. Il démontre là aussi sa capacité à imposer des farces rondement menée, des satyres aussi cruels que profondément humanistes. Des sujets étonnants qui viennent donner une épaisseur supplémentaires à un humour renversant, maniant aussi bien la prose que les gags à répétitions hilarants, comme avec ces fanfares hystériques dans un Héros d'occasion (Hail The Conquering Hero) jouant avec la figure militaire et en particulier les jeunes hommes restés au pays alors que l'Amérique est lancée à plein régime dans la Seconde Guerre Mondiale. Sturges est souvent lucide sur la culture de son pays, et détourne à sa façon le monde de la pub et la société de consommation dans le léger Le Gros lot (Christmas in July) et surtout parodie sa propre carrière dans Les Voyages de Sullivan (Sullivan's Travels) et son auteur de succès populaire en recherche de vérité sociale, pour mieux confronter les spectateurs au monde des laisser pour compte et des « vrais » pauvres du pays. Un mélange des genres digne d'un équilibriste considéré par beaucoup comme le sommet de la carrière de Sturges et auquel les frères Coen rendront directement hommage dans leur O'Brother.
Un cinéma riche, complexe mais toujours drôle, amusé, même lorsqu'il s'échappe vers un exercice de style qui marque le début de l'essoufflement de sa carrière. Soit Infidèlement vôtre (Unfaithfully yours), essai peut-être un peu moins parfait que ses réalisations précédentes, mais qui avec son chef d'orchestre fantasmant, en plein concert, les différents moyens d'éliminer sa femme, séduit forcément. Par quelques mouvements de caméras bien amenés, un jeu joyeux et bien senti avec les différents extraits de musiques classiques utilisés, ses références et clins d'œil au thriller et au film noir mais aussi et surtout son besoin naturel de s'achever en pantalonnade digne d'un échec cuisant de Daffy Duck ou du Coyotte. Une belle manière d'e clore cette compilation indispensable de six films toujours inventifs, admirablement dialogués, facétieux, sophistiqués et toujours aussi distrayants.






