Ne pas le confronter à la lumière vive, Ne pas le mettre au contact de l'eau, ne pas lui donner à manger après minuit... Trois commandements auxquels il faut ajouter un quatrième : voir et revoir Gremlins jusqu'à la fin de ses jours sous peine d'oublier ce qu'est le grand cinéma populaire.
C'est un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. En cette époque bénie, la participation de Chris Columbus annonçait encore un divertissement familial de qualité, Spielberg ne se fourvoyait pas dans les Transformers et Joe Dante n'était pas encore un génie oublié par une Warner à la mémoire courte. Trois talents qui à l'aube de 1984 s'essayèrent au conte de Noël. Un exercice idéologique typiquement anglo-saxon, habituel véhicule de bons sentiments, de rêveries sucrées et de morale envahissante. Et ici, tout y est, de la charmante famille pleine d'amour mais dans le besoin, à la petite ville de banlieue perdue sous la neige, en passant par la richissime acariâtre... On nage en plein Capra revival. Sauf que le film s'appelle Gremlins et qu'en guise de rédemption la vieille mégère va finir dans le décor, propulsée violemment par un siège motorisé arrangé par les charmantes bestioles. Le film de Dante reste encore aujourd'hui une grande farce cruelle, méchante et délirante (où même une gentille mère de famille transforme sa cuisine en salle de torture), à l'image justement des ces créatures facétieuses créées par l'immense Chris Walas, moteurs inépuisables de gags et de destructions en tous genres.
On est bien loin du charmant Gizmo, petite boule de poil adorable, symbole évident d'un certain idéal de la vie frugale. Par opposition, sa terrible progéniture n'est donc rien d'autre que la représentation (à peine) caricaturale d'une Amérique naissante : celle des yuppies et de leur société de consommation aveugle, écrasant l'image d'Epinal des 60's sous son talon. Une peinture au vitriol, mêlée de nostalgie enfantine, qui porte la marque évidente du Joe Dante de Hurlements, The Second Civil War ou Looney Tunes Back in Action. Son humour est tout simplement irrésistible et jamais gratuit, tandis que la justesse de sa réalisation trouve un écho idéal dans les compositions faussement guillerettes d'un Jerry Goldsmith en toute liberté. Vingt-cinq ans plus tard, cette comédie idéale, accumulation monstrueuse de scènes cultes (Gizmo qui chante, les Gremlins en extase devant Blanche Neige...) paraît plus que jamais d'actualité autant dans son scanner aux rayons X du monde moderne que dans sa maîtrise filmique. Comble, les effets spéciaux, croisements de marionnettes, d'animatroniques et d'animation image par image ont encore de quoi faire pâlir la plupart des images de synthèse récentes. Le meilleur d'une époque sans aucun doute.
"Enfant des drives-in, des monstres en caoutchouc et des margoulins de la série B, Joe Dante l'indomptable livre l'Amérique des yuppies cyniques et des nostalgiques de Norman Rockwell à une horde de petits hommes verts aux dents pointues et aux manières qui laissent à désirer. Le conte de Noël le plus agréablement débraillé des 80's."
A.W.


