La saga Evil Dead et le marché de la vidéo, c'est une vieille histoire d'amour. Les collectionneurs et les cinéphiles qui se mirent à investir toutes leurs économies dans les imports DVD de la défunte firme US Anchor Bay se souviendront avec une larme au coin de l'œil des multiples éditions collectors, limitées, définitives, numérotées et que sais-je encore de la trilogie originale de Sam Raimi. Aujourd'hui, Studiocanal perpétue la tradition et ajoute une nouvelle pierre à cet édifice numérique via une réédition en 4K UHD Steelbook ( !) d'Evil Dead 2.
Si le premier Evil Dead fit l'effet d'une bombe, révélant à la face du monde le génie formel d'un tout jeune cinéaste de 22 ans, l'aventure Mort Sur Le Gril (Crime Wave, en VO) et son tournage frustrant et douloureux faillit bien mettre un terme à la carrière de Sam Raimi avec un flop retentissant. Opérant un retour aux sources sur les deniers de Dino de Laurentiis, Raimi et sa bande lâche une nouvelle horde de Deadites sur ce pauvre Ashley Williams (appelez-le Ash !) et transforme la cabane perdue au fond des bois en un formidable terrain d'expérimentation. Plus encore que ses précédents essais, Evil Dead 2 établit le « style » Sam Raimi. Avec des moyens relativement confortables et une liberté de ton absolue, le réalisateur se lance dans une opération kamikaze où l'horreur la plus graphique (démembrements en tous genres, geysers de sang) se mêle à l'humour le plus loufoque hérité du burlesque des Three Stooges et des cartoons de Chuck Jones. Il y parvient par la grâce de mouvements d'appareils outranciers, métamorphosant sa caméra en un protagoniste à part entière qui traque Bruce Campbell dans les moindres recoins de l'écran, s'accroche à son fusil, suit le parcours d'un œil éjecté de l'orbite d'un démon jusqu'à la bouche de l'infortunée Scream Queen du moment et semble même se déformer lorsque les forces de l'Au-Delà font une percée dans notre dimension. Mais Raimi ne se contente pas de ces acrobaties étourdissantes et appuie ses effets par une gestion démentielle du cadre, du hors-champ et du montage, jetant le réalisme à la poubelle et privilégiant des sursauts toujours plus violents. L'idée n'est plus de créer un malaise poisseux comme y parvenait si bien le premier Evil Dead mais de filer au spectateur des crises cardiaques en série.
Toutefois, sans un ingrédient miracle, il y a fort à parier que la tambouille concoctée par Sam Raimi ne prendrait pas aussi bien. Voir pas du tout. Figure abstraite du survivant, beau gosse s'en prenant plein les gencives mais émergeant victorieux de son combat contre le Mal, Bruce Campbell traversait Evil Dead avec un charisme de jeune premier. Un comédien solide et cinégénique qui aura eu le courage de se laisser asperger de litres de faux sang sans broncher. Pas encore une icône de l'horreur mais ça ne saurait tarder.
Ami et complice de Sam Raimi depuis le lycée, Campbell saisit avec Evil Dead 2 l'opportunité de marquer les esprits durablement et met toute son énergie dans une prestation physique de très haut niveau. Soulevant de la fonte et suivant un régime drastique, il se taille une silhouette d'action hero, à mi-chemin entre Kirk Douglas et Bruce Lee. Il faut dire que le réalisateur, un brin sadique, lui en fait voir de toutes les couleurs, le fouettant avec des branches à de multiples reprises, l'attachant pendant plusieurs heures à un mécanisme qui le fait tourner dans tous les sens en le secouant violemment pour la scène où l'esprit de la forêt s'empare de son corps, lui imposant des lentilles de contact qui l'aveugle et lui font souffrir le martyre sous son maquillage de possédé ou encore le noyant sous des hectolitres de faux sang et autres liquides douteux. On atteint même des sommets lors de cette scène incroyable où le pauvre Ash affronte sa propre main qui tente de l'assassiner. Sans effets spéciaux, Bruce Campbell se frappe, se gifle, se jette au sol en effectuant un saut périlleux et se casse des dizaines d'assiettes et de tasses sur le coin de la figure.
Ces efforts herculéens ne vont pas sans récompenses puisque Sam Raimi envisage sa séquelle comme un quasi-remake et réécrit le personnage d'Ashley Williams en le plaçant cette fois-ci au centre de l'intrigue. Un héros malgré lui et une figure tragique condamnée à perdre ceux qui lui sont proches et manquant de basculer dans la folie sous l'influence du chagrin. Et de ce foutu Necronomicon. Lorsqu'il le filme amputée de sa main droite avec une tronçonneuse à la place et un fusil à canon scié dans le dos, au terme d'un montage héroïque et jubilatoire, Bruce Campbell apparaît enfin transcendé. Et même si il n'est pas le plus futé des super-héros pourfendeurs de démons, il n'est pas encore le crétin congénital et vantard que développeront avec gourmandise un troisième opus médiéval et une série télé mal élevée. Un quiproquo que l'on doit aux premières minutes du film et que certains spectateurs ont mal interprétées, croyant que Ash était retourné dans la cabane après le massacre du premier film pour y commettre sciemment les mêmes erreurs. Bien fait pour lui ?




