Encensé dès son premier long métrage pour son approche novatrice et politique, Jordan Peele risquait gros avec sa seconde réalisation que certains voyaient déjà comme un simple décalque d'une méthode malhonnête. Plus fermement engagé, plus subtilement orchestré, Us vient clairement confirmer l'ascension d'un auteur pertinent.
Et pour l'instant assez unique dans l'histoire du cinéma d'horreur américain, genre essentiellement préoccupée par des considérations propres à la culture blanche. Les noirs y sont soit réduits aux postures de ressorts comiques, de stéréotypes à quota ou de caricatures de la banlieue. Et si Get Out prenait déjà le risque de se confronter directement à la question raciale, sur le ton de la satire, dans Us, Jordan Peele franchit le pas en proposant directement dans les rôles centraux une famille afro-américaine sans que ce soit l'accroche primordiale du métrage. Il y a des allusions au statut de parvenus blacks (la référence à O.J. Simpson entre autres), mais les Wilson sont mis sur mis sur un pied d'égalité avec leurs amis blancs, petits bourges célébrant la matérialité et une certaine posture dans l'économie du pays. Le Us ou U.S. résonne alors autant au pronom Nous qui renvoi au portrait d'une famille pétrie de peurs plus ou moins légitimes (de l'autre, de l'échec, de la fin du monde...) qu'à l'acronyme qui évoque un pays à la fracture sociale qui tend vers le gouffre infranchissable. Du film d'horreur intimiste à l'introduction d'une apocalypse sociétale, le film de Jordan Peele alterne les perspectives souvent avec brio, parfois avec les mêmes lourdeurs que dans Get Out, et en particulier par ce besoin de cumuler dans ses derniers élans un twist prévisible (et terriblement inutile) et de lourdes explications (là aussi inutile) évidée face caméra.
Des maladresses qui égratignent quelques peu à la maitrise pourtant évidente du métrage, autant dans cette appropriation politique de l'horreur à la George A. Romero (Peele cite constamment La Nuit des morts-vivants) que dans une gestion du suspens et de l'espace nourrie de sa fascination pour l'œuvre d'Alfred Hitchcock. Pas étonnant dès lors qu'Us ressemble très souvent à s'y méprendre à un M. Night Shyamalan de la grande époque, en particulier lorsque la caméra se confronte directement aux codes du genre : un home-invasion, un massacre en quelques seconde d'une famille vu au travers d'une baie vitrée... Peele impose plus encore que dans son premier film une réalisation pointue, tranchante, où vient constamment se refléter la question du double, de l'autre soi, du doppelganger maléfique (ou qui ici « aurait pu être ») aux airs totalement pervers. Un dispositif qui n'aurait jamais pu être réussi sans une maitrise impressionnante de nombreux trucages complémentaires (montage, trompe-l'œil, collage, images de synthèses...) et un quatuor d'acteurs tout simplement formidable, mené par une Lupita Nyong'o (Black Panther) forte, flippante et intense. La voir alterner entre la mère solide au bord de la chute et la prédatrice aux yeux brulants et à la voix gutturale installe véritablement une atmosphère dérangeante, malaisante. C'est l'une des cartes maitresses du cinéma de Jordan Peele.



