Encadré par les psychanalytiques La Rue Rouge et Le Secret derrière la porte, Cape et poignard est souvent perçu comme un « autre » film d'espionnage d'un Fritz Lang plus que rompu à l'exercice. Pourtant à ne nombreux égards, on tient peut-être là LE film d'espionnage de Fritz Lang.
Cinéaste fasciné par la figure du mal et la dramatique du crime ayant annoncé plus ou moins volontairement la monté du nazisme en Allemagne avant de s'enfuir aux USA, Fritz Lang a forcément trouvé un cadre confortable avec les nombreux films d'espionnage qui fleurissaient à Hollywood pendant les années de guerre. Des réussites systématiques, Chasse à l'homme, Les Bourreaux meurent aussi et Espions sur la Tamise qui certes écartaient assez naturellement la propagande facile, mais jouait bien souvent sur des ressorts et une imagerie relativement manichéenne qui rappelait l'intérêt de Lang pour les genres populaires et le grand spectacle. Distribué aux lendemains du conflit, Cape et Poignard détonne à la fois dans la filmographie du cinéaste et dans les codes du genre tels qu'ils étaient célébrés à l'époque. Surtout, Lang embrasse directement une prise de conscience violente de certains frappés par les images des survivants des camps de concentration et s'inquiétant déjà d'un affrontement annoncé avec le bloc de l'est sur fond de déploiement nucléaire. Même si Cape et poignard est une grande et belle production Warner, avec un viril et élégant Gary Cooper en tête d'affiche, il est pourtant une œuvre qui s'efforce de dépouiller le divertissement d'espionnage de toute forme d'héroïsme patriotique, de romantisme militaire et de naïveté de bienséance. Scientifique s'opposant à l'utilisation des cerveaux par les états et ouvertement anti-nucléaire, l'anti-héros Alvah Jesper se retrouve embringué tel un novice dans un jeu qui délaisse très rapidement la mystique des simulacres et des agents doubles, pour une traque beaucoup plus concrète et désabusée.
Un réalisme mesuré, toujours évoqué au détour d'un dialogue ou d'un sous-entendu, qui devient franchement passionnant lorsqu'il prend le visage de Gina (Lilli Palmer, LA Star du film) résistante italienne capable de prendre les armes et de tuer quand nécessaire, rêvant désespérément d'un monde disparu, révélant (nous sommes en 46) le lot des femmes dans le rôle peu reluisant d'agent de liaison. C'est par son désespoir à elle, son regard désabusé, que Gary Cooper découvre le quotidien mortifère d'un pays en guerre, d'une nation occupée par le fascisme. A aucun moment Fritz Lang ne signe le film attendu et ce même lorsqu'il se fend d'un combat à main nu. Se déroulant dans un silence écrasant, dissimulé par une musique venue de la rue, ce combat est l'un des premiers à user d'authentiques prises de karaté, mais aussi l'un des plus longs, âpres et violents de son époque. Et surtout à des kilomètres de postures de l'ancien cowboy triomphant. Incroyablement moderne et préfigurant à la fois la noirceur des premiers James Bond (Bons Baisers de Russie essentiellement) et leur versant plus froid des 70's, Cape et poignard aurait même dû s'achever sur une note plus pessimiste encore si le studio n'avait pas tout simplement entièrement coupé, et détruit, la dernière bobine. Une vingtaine de minutes dans lesquels le scientifique sur les traces du laboratoire nucléaire d'Hitler découvrait tétanisé les camps de la mort avant de réaliser que les nazis avait déjà évacué leur centre de recherche au Brésil. Une mise en scène de l'échec jusqu'à la dernière ligne pour un film d'espionnage unique en son temps mais réussi sur tous les points.



