The Witch, impressionnante invocation de sortilèges dans une campagne médiévale dépouillée où le déterminisme devenait loi, était une œuvre intensément féminine, voir féministe dans le plus noble sens du terme. Second long métrage de Robert Eggers, The Lighthouse lui répond naturellement en optant pour un décorum et un cadre bien plus masculin. Le monde des marins, des gardiens de phares, des travailleurs forcenés, effectuant leurs tâches jusqu'à l'épuisement et l'avilissement... Des figures viriles, burinés, minérales, mais dont la masculinité n'a rien d'une force célébrée, mais serait plutôt la source d'une plongée progressive dans une folie liquide, paranoïaque et contaminante, comme une gangrène. The Lighthouse est ainsi un film empreint d'une grande rudesse, d'une violence frappante et omniprésente au millieu de laquelle les machines charbonneuses, bruyantes et fumantes, viennent s'incruster douloureusement dans ce paysage décharné, acéré d'une île dont le seul point de mire semble être ce phare central, phallique, symbolique et obsédant. Non sans une très volontaire ambiguïtée.
La cohabitation difficile et tendue entre les deux gardiens, un gigantesque Willem Dafoe en vieux marin de légende (grosse barbe, pipe au bec et vieilles chansons paillardes plein le gosier) et un inquiétant Robert Patinson constamment mis à mal par son partenaire, partage ainsi son temps entre les taches journalières, les beuveries, les pratiques sexuelles solitaires et une méfiance mutuelle qui, le temps aidant, va vriller vers un point de non retour. Un quotidient austère, étouffant, définitivement flippant, qui se voit parcemé de flashs de croyances païennes à coups de sirènes lubriques, de mouettes narquoises et de créatures mutantes dignes d'une nouvelle de HP Lovecraft. Des descriptions presque obscènes, barbares et vulgaires, d'un rapport avilissant entre le maitre de besogne et sa victime incertaine. Mais outre la prestation d'une subtilité effarante de la part des deux interprètes (là où ont aurait pu facilement tomber dans la caricature), The Lighthouse est entièrement métamorphosé par le contraste provoqué avec la noblesse affectée d'une esthétique éblouissante. Tourné sur pellicule 35mm mais avec un format de cadre 1.19, The Lighthouse s'empare des constructions du cinéma des premiers temps et travail au corps sa matière en optant pour des objectifs (dont certains plus utilisés depuis presque cents ans) et des filtres altérants les noirs et la lumière pour un résultat métallique, vibrant, presque respirant, qui creuse constamment les traits et la fatigue des personnages, autant que rend plus tranchant encore ce monde contenu mais débordant d'un cauchemar mythomaniaque, primitif et lourd. Pas d'élévation salvatrice comme dans The Witch, The Lighthouse finit plus simplement fracassé au sol.


