Désormais adulé par la critique suite à son revirement polar et une amorce lente vers un cinéma de plus en plus épuré, Cronenberg autrefois avide de gore et de transformations physiques cauchemardesques, entamait le plus gros tournant de sa carrière avec Crash, œuvre sexuée et bien membrée.
Cronenberg est ce que l'on pourrait appeler un cinéaste obsessionnel. De ses premières œuvres (Frissons et Rage) jusqu'à ses essais plus récents (le magnifique diptyque History of violence et Les Promesses de l'ombre, mais aussi l'expérimental Cosmopolis) le canadiens n'a de cesse de questionner le futur de l'homme, ses relations ambivalentes avec la technologie et de trifouiller allégrement dans la mécanique interne de notre machine. Inévitablement son chemin devait croiser celui du romancier J.G. Ballard (L'Empire du soleil, Millenium People) confrontant dans Crash quelques humains dépareillés à leur fascination pour la carrosserie de leurs automobiles. Un livre d'anticipation en 73, mais devenu réalité 23 ans plus tard comme le démontre de façon plus que troublante le réalisateur de La Mouche, transformant des autoroutes omniprésentes en galeries infinies sur lesquels rampe une colonie d'insectes géants et métalliques, totalement invasive. Doté de cette inquiétante étrangeté presque lynchienne, Crash, le film, est encore et toujours une source de fascination constante. Réduisant le scénario, entendez par là les dialogues et toute forme de péripétie, a son plus simple appareil, le film est surtout l'illustration, presque clinique, des dérives sexuelles d'un couples libres et avide d'expérimentation après l'accident automobiles de l'un deux. Ils rencontrent alors une communauté de personnes partageant le fantasme du sexe liés au métal brillant des bagnoles. La mise en danger constante, la fusion psychologique avec la tôle, la scarification inconsciemment volontaire...
Crash est certes un film cul dans sa volonté de présenter sans pudibonderie les relations physiques entres les personnages, mais c'est surtout la révélation d'une réalité d'un homme esclave masochiste de sa technologie. Un retournement intelligent de l'imagerie de la réussite américaine, passant forcément par sa grosse voiture clinquante et puissante, et de la mythologie hollywoodienne (voir la reconstitution de l'accident de James Dean) ou explose à chaque photogramme des acteurs d'une sensualité inattendue. Qui aurait pensé que Holly Hunter pouvait titiller le bas ventre ? Mais au-delà de l'érotisme intellectuel froid voir glauque dont on peut avoir l'habitude sur ce type de projet, Crash est aussi une étrange ode à la découverte de l'autre, tabous, permettant ici à un couple froid et (trop ?) cérébral de se retrouver et de partager à nouveau sueurs et tremblements dans un plan final somptueux où une voiture accidentée fait office de matrice originelle. Sans jugement, sans position morale, La caméra de Cronenberg accompagne cette quête désespérée et impossible, troublant ainsi constamment le rapport entre le métal et la peau, la caresse et l'impact, l'orgasme et la destruction. Un film immédiat, magnifique et unique qui a largement mérité son prix du jury à Cannes et toute la polémique qui s'en suivi.



