Considéré, à tord comme à raison, comme le coup d'envois des fameux Poliziottesco, polars bis et expéditif made in italia, Le Témoin à abattre d'Enzo G. Castellari en reste aussi l'un des meilleurs représentants. Un maître étalon d'une efficacité indéniable.
Difficile souvent dans le cinéma italien, fait de courants, de modes, et d'inspirations constamment renouvelées (on ne parle même pas des emprunts plus ou moins honnêtes) de retrouver le film qui a définitivement fait bifurquer l'industrie. Si les films policiers italiens ont plus ou moins toujours existé, il s'encrent plus solidement dans le paysage alors que la réalité sociétale du pays, l'explosion de la criminalité, les violences politiques, les suspicions d'un état entièrement vérolé, devient insoutenable et anxiogène. Si certains « auteurs », plutôt de gauche, comme Damiano Damiani (La Mafia fait la loi, Seule contre la mafia) ou Elio Petri (Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon) entament les hostilités en dénonçant les travers de l'Italie d'alors, c'est le cinéma d'exploitation qui va, comme à chaque fois, s'en emparer rageusement. Il y avait eu l'année précédent le remarquable Société anonyme anti-crime de Steno, mais c'est véritablement le succès rencontré par Le Témoin à abattre et l'iconisation de son héros qui va en définir les codes. Un commissaire Belli incarné par la star Franco Nero (Django), qui impulse directement dans le film une énergie constante, une forme de colère qui bouscule autant le cadre que les institutions. Passant son temps à courir d'un bout à l'autre, à gueuler sur les suspects, ses collègues et ses supérieurs, il est défini dès la première séquence comme un homme d'action, entrant dans le champs en pleine course, pour une première poursuite déjà nerveuse à travers les rues génoises. Avec son impair marron et son écharpe bleutée, il reprend certains atours du héros de western, pour mieux incarner l'homme qui agit enfin contre le système, contre la corruption et un monde qui s'enfonce dans la décadence.
Schématique forcément, mais tellement efficace en particulier quand Le Témoin à abattre rejoue justement frontalement la carte des stéréotypes attendus avec ses petits truands patibulaires et sacrifiables et les grands patrons, tirés à quatre épingles, aux regard froids, inquiétants, voir mystérieux. Même l'honorable Fernando Rey n'est pas dupe lorsqu'il revient deux ans après French Connection (modèle absolu du Poliziottesco justement) jouer les vieux trafiquants de drogue marseillais, qui passe son temps libre à couper ses roses comme dans Le Parrain. Artisan au savoir faire indéniable, Enzo G. Castellari (Inglorious Bastards) va justement trouver son genre de prédilection avec ce neo-polar à l'italienne, maniant avec bonheur ses multiples références (dont de superbes ralentis dramatiques à la Sam Peckinpah), un miroir à peine déformant de l'actualité (le meurtre du commissaire Luigi Calabresi repris à l'image prête) et une ardeur tenace. La mise en scène presque caméra au poing et le montage percutant, font constamment déborder l'action, comme si les rares scènes de dialogues ou de calme étaient déjà de trop, s'envolant littéralement pour quelques castagnes à coups de baffes sévères ou une poursuite spectaculaire en voiture à travers ville. Une séquence de près de huit minutes orchestrée par notre regrétté Remy Julienne national. Du grand cinéma de divertissement, définitivement efficace, parfois légèrement déviant même (l'attaque à crocs de boucher, la gamine percuté en voiture) mais où pointe cruellement ce fatalisme tragique, ce nihilisme définitif qui a fait la marque du poliziesco. Castellari va ensuite brillamment creuser le sillon avec Un Citoyen se rebelle, Big Racket et Action immédiate. Les autres n'auront plus qu'à y piocher allègrement.
Après plusieurs message de lecteurs et de cinéphiles, et grace à l'apport en particulier de Samuel Bouvet, il nous a été possible de visionner un repack issu d'une veille VHS française. Le master est effectivement très abimé mais il présente quasiment 9 minutes de film suplémentaire se déroulant en "épilogue" du montage américain présenté par Studio Canal : Fernando Rey qui se fait abattre dans sa villa et une longue poursuite / fusillade suplémentaire sur les quais de la ville en sont la constituante principale. Finalement cette autre fin se montre presque plus classique, plus "positive" (toutes proportions gardées). Difficile aujourd'hui de savoir quel montage avait la préférence du réalisateur... Peut-être faudra-t-il attendre une potentielle sortie italienne, mais si le négatif opté par Studio Canal semble être à l'heure actuelle qualifié "d'officiel". Dans tous les cas, il aurait été opportun de présenter ces quelques minutes en suplément avec un petit texte explicatif.



