Francis Ford Coppola et la guerre du Vietnam c'est Apocalypse Now, le voyage au bout de l'enfer sensoriel. C'est aussi dix ans plus tard, le voyage émotionnel d'un pays au deuil presque impossible.
Années difficiles pour Francis Ford Coppola marquées par les échecs successifs, dont vient tout juste de le sauver le charmant Peggy Sue s'est mariée, les 80's sont celles d'un cinéma rétrospectif dans lequel il traverse son passé et d'une certaine façon sa propre filmographie. Mais jamais pour effectuer une simple redite. A l'instar de Jardins de pierre, proposition non pas antinomique de l'œuvre traumatique mais plutôt complémentaire, laissant au loin un conflit moins spectaculaire que personnel, fantasmatique, pour s'attarder sur le quotidien du régiment d'infanterie stationné au cimetière militaire d'Arlington (Washington D.C.), en charge des cérémonie funéraires des frères d'armes tombés au loin. Un cérémonial fastueux, rigide et codifié qui enchaîne les mises en terre à un rythme qui frôle parfois l'absurde et le macabre. Alors que l'Amérique reaganienne pense qu'il faut penser les plaies des années 70, et en grande partie de la déchirure du Vietnam justement, par une nouvelle célébration de l'idéologie conquérante (merci Rambo II), le cinéaste opte pour une voie plus complexe, plus douloureuse, plus apaisée celle d'une réconciliation au chevet d'un proche.
Face à ces morts presque inexplicables, difficilement entendables, les points de vue continuent de s'opposer, les discussions et des débats sont toujours houleux, mais cette fatalité qui plane constamment au dessus de leurs têtes, impose aussi une forme de respect, de compréhension, d'acceptation, loin du déni justement. Le couple, sublime, formé par James Caan et Anjelica Huston, lui soldat dans l'âme mais grondant contre les méthodes de cette guerre, elle journaliste pacifiste convaincue, en sont le plus symptomatique de cette réconciliation que l'on pensait impossible. Un point d'ancrage autour duquel gravite autant la vieille garde depuis longtemps désabusée (James Earl Jones et Dean Stockwell sont fabuleux) et un jeune homme (D.B. Sweeney), présenté comme un fils de substitution, dernier idéaliste rêvant de partir au front pour l'honneur de son pays, mais dont le destin à déjà été scellé par le générique d'ouverture. Amours renaissants, bagarres viriles au bar des militaires, grands débats d'idées et quotidien au son des trompettes, la vie continue dans Jardins de pierre, envers et contre tous, mais toujours avec cette épée de Damoclès constamment rappelée par les sujets de conversations, les images télévisées et des échos lointains d'un mixage sonore habilement réfléchie. La caméra de Coppola a beau être plus en retrait qu'à son habitude, le film n'en serait que presque plus déchirant, portée par une interprétation générale d'une rare intensité et une sincérité d'autant plus aiguë que la préproduction fut douloureusement marquée par la mort accidentelle du fils du cinéaste.
Un grand drame, constamment traversé par des fantômes, historiques et personnels, qui loin du front (« qui n'existe pas » disent-ils tous) réussit à définir pour la première ce qu'à vraiment été la Guerre du Vietnam dans l'âme américaine.


