Véritablement découvert en occident avec l'esthétisant et baroque Jiang Hu, Ronny Yu s'est construit une image de cinéaste léché et maniériste. Retour aux origines avec The Saviour, sa première réalisation solo, qui rappelle qu'il était avant tout l'un des précurseurs de la nouvelle vague HK.
Loin d'être aussi réputé que nombre de ses camarades de l'époque (parmi lesquels Tsui Hark, Ann Hui, Kirk Wong, Alex Cheung... ) Ronny Yu souffre finalement dans sa représentation d'une filmographie des plus éclectiques et, malgré son passage américain populaire, d'une image d'artisan presque modeste, ne mettant jamais sa figure d'auteur en avant. On le connaît surtout fantaisiste forcené (Jiang-Hu, La Fiancée de Chucky...), styliste léché (l'impressionnant Le Maitre d'armes), voir amuseur déconnant (Le Messager de guerre, SOS Maison hantée, Le 51e état), on le retrouve pourtant à ses tout débuts parmi les précurseurs d'une nouvelle approche du cinéma chinois. Après un premier polar, The Servants, à la fabrication plutôt collective, il rempile en solo en 1980 pour ce The Saviour produit ni plus ni moins que par le fameux Teddy Robin Kwan, déjà derrière un certains Cops and Robbers sorti l'année précédente. Une même volonté anime d'ailleurs les deux films d'approcher le genre policier par un réalisme plus frontal, une image rugueuse et sèche, où l'ancienne vision ultra positive des forces de l'ordre laisse place à des enjeux beaucoup plus violents, scabreux voir nihilistes.
Là où le film d'Alex Cheung jouait sur un glissement de terrain progressif, celui de Ronny Yu croise d'emblée les deux angles. D'un coté des atmosphères lumineuses et mélodramatiques pour illustrer la vie personnelle de l'inspecteur Tong, parrain d'un gosse qu'il espère pouvoir adopter, ou se rapprochant d'une très jolie témoin, de l'autre un quotidien de flic présenté comme brutal, violent et scabreux, plongée dans des ténèbres plus qu'inquiétantes. Un polar aux racines ancrées dans les 70's mais entrant déjà de plein pied dans la décennie à venir, marquant sa stylisation par une photographie flirtant avec les néons, le bétons cauchemardesque, le tout accompagné d'une BO pop concocté par, forcément, Teddy Robin Kwan. Un petit quelque-chose de Michael Mann en devenir, et en particulier du fascinant Manhunter dont on retrouve, de manière précoce donc, la traque presque intime d'un flic à fleur de peau sur les traces d'un serial killer aussi flippant que fragile, torturé et pathétique. Un thème particulièrement étonnant pour un thriller chinois de l'époque, voir même excessivement original, qui marque là aussi très bien l'influence indéniable qu'a pu avoir le cinéma occidental sur Ronny Yu, William Friedkin ou Hitchcock en particulier, mais aussi le giallo italien dont on retrouve la fascination subjective pour les meurtres à l'arme blanche, les victimes dénudées et les visages figés dans la douleur. Un monde où la femme est essentiellement réduit à un objet sexuel et donc une victime potentielle. Une proposition unique dans le cinéma chinois d'alors, choquant pour beaucoup sans doute et qui a clairement participé à changer le visage du polar HK, a le faire entrer dans une modernité, aussi douloureuse soit elle.




