Premier et unique film polonais signe Roman Polanski, Le Couteau dans l'eau est autant la marque de naissance d'un grand du cinéma que le lancement d'une « Nouvelle vague » polonaise à laquelle, boudé par l'état et la critique, il ne participera pas, préférant, déjà, l'exile.
En 1962 la sortie du Couteau dans l'eau est un pavé dans la mare pour le cinéma polonais, encore écrasé sous la censure étatique et une école lourdement académique, politique et propagandiste. Fier émoulu de l'une des premières promotion de la célèbre Ecole National de Cinéma de Lodz, Polanski réussit par ce premier long métrage à trancher drastiquement avec les décennies passées et à ouvrir la voie à toute une nouvelle génération de cinéastes prête justement à casser les règles, à retravailler la matière cinéma. Pourtant pas de grandes envolées stylistiques, pas d'expérimentations outrées ici, mais un huis clos extrêmement aride sur un voilier de plaisance en excursion sur un lac. A son bord un couple bourgeois, lui journaliste, elle objet d'ornement, et un jeune homme plus modeste, pris en autostop sur la route et qui ne comprend pas encore bien ce qu'il fait là. Les cadres sont extrêmement resserrés, voir écrasants, les silences sont aussi lourds de sens que les dialogues, l'horizon est constamment immobile et le soleil implacable. Le noir et blanc extrêmement contrasté, vient surligner des lignes d'opposition qui ne font que se creuser au fils des heures.
Car bien entendu dans ce triangle faussement amoureux, tout n'est question que de pouvoir, d'ascendance. Des relents de lutte des classes, des relents de mâle alpha, qui se jouent pour les beaux yeux d'une épouse qui n'attendait que ça, tout autant que pour la possession d'un couteau symptomatique d'une violence sourde, d'un reflet argenté qui miroite dans l'esprit de chacun. Le Couteau dans l'eau est presque un anti-thriller, un film de suspens mais sans réelle montée, sans action, aux mouvements restreints, à l'espace exiguë, étude de mœurs en macro qui vient se confondre avec les frémissements sociétaux de la Pologne d'alors.
Coécrit avec Jerzy Skolimowski, futur réalisateur de Deep End et Le Cri du sorcier, le film mêle dans son austérité le traitement de l'intime, de personnages « communs », inspirés justement de la Nouvelle Vague française, et la réflexion plus vaste portée sur la fracture d'un pays enfermé dans un immobilisme morbide que la jeunesse voulait voir enfin éclater. Construit comme une parenthèse, le temps d'un week-end, Le Couteau dans l'eau laisse le réel reprendre le dessus et repartir sur les voies qu'il avait, un temps, empêché : le jeune homme, force de mouvement, retrouve la route vers ailleurs alors que le couple, de nouveau enfermé dans sa voiture dernier cri reste figé devant une bifurcation anonyme. Polanski embrassera bien plus volontiers le destin du premier quittant définitivement son pays pour tenter sa chance en Europe.


