Pas forcément au mieux de sa forme, La Shaw Brothers imagine Holy Flame Of The Martial World & Demon of the Lute comme des réponses au phénoménal Zu Les Guerriers de la montagne magique de Tsui Hark et une nouvelle tentative de rester en connexion avec le public des années 80. Le premier choisit les amphétamines, le second un paquet de bonbons Haribo.
1983, la Golden Harvest s'apprête à sortir sur les écrans le révolutionnaire Zu Les Guerriers de la montagne magique. Une modernisation outrée du wu xia pian signée Tsui Hark qui annonce un déluge de combats fantastiques câblés et d'effets spéciaux assez démentiels pour l'époque, et en particulier à Hong Kong. Cherchant désespérément à retrouver l'attrait du public, la Shaw Brothers profite des soucis de production du concurrent pour lancer une poignée de projets pouvant le concurrencer... voir le devancer. Buddha's Palm ouvre le bal dès 1982, le diptyque Bastard Swordsman poursuit cette électrisation des méthodes de la Shaw, mais clairement Holy Flame Of The Martial World et Demon of the Lute pousse la logique plus loin encore.
Le premier est une nouvelle fois confié à Tony Liu, justement aux commandes de Bastard Swordsman, et déjà largement remarqué pour sa gestion spectaculaire des nouvelles chorégraphies et son sens imparable du rythme. Une méthode éprouvée qu'il reprend fermement ici en s'emparant d'un nouveau récit de wu xia pian extrêmement classique : un frère et une sœur jumeaux, séparés à la naissance suite au meurtre de leurs parents détenteurs d'armes légendaires, vont se retrouver dans des camps séparés une fois adultes mais finiront par s'allier pour contrecarrer de terribles maitres des arts-martiaux. En cours de route on croisera quelques vieux maîtres aux techniques variés empêtrés dans leurs vieilles rancœurs, une jeune garde toute aussi colorée mais plus encline à enterrer la hache de guerre, le tout dans une succession presque interrompue de déplacements aériens improbables, de combats absolument délirants et de projections de force intérieure qui ressemblent surtout à des rayons lasers. Un projet complètement fou où Tony Liu enchaîne à 100 à l'heure les idées les plus inattendues, les concepts les plus frappés et les affrontements les plus frénétiques sans jamais laisser l'opportunité au spectateur de regarder ailleurs. Peu importe les personnages, peu importe qu'ils sauvent le jiang-hu de sa destruction, ce qui fascine totalement ici, toujours avec un petit sourire en coin, est l'apparition d'une jolie demoiselle dont le doigt deviendra magique et surpuissant, la visite d'une secte qui décapite les vierges pour nourrir une momie verte d'un occidental (ou d'un alien), l'exploration d'une caverne lardée de pièges digne d'Indiana Jones qui s'achève dans un combat contre des idéogrammes volants ou la puissance de déflagration du rire fantomatique qui emporte tout sur son passage. Toujours à deux doigts de la comédie kung-fu (plutôt que la parodie) Holy Flame Of The Martial World se complaît dans une esthétique clinquante, qui recouvre les habituels décors de la Shaw Brothers d'effets spéciaux généreux, psychédéliques, et aujourd'hui joyeusement kitchs. A la virtuosité révolutionnaire de Zu Les Guerriers de la montagne magique, Tony Liu préfère toujours l'efficacité du pur divertissement et signe un spectacle de moins de 90 minutes qui décoiffe et ébahit.
Produit dans la même mouvance mais réalisé cette fois-ci par le beaucoup plus rare Tang Tak-cheung (deux films en deux ans et c'est tout), Demon of the Lute pourrait sans doute être perçu comme le point de non-retour de cette mini vague de wu-xia à effets spéciaux. Car quitte à tenter de moderniser à l'extrême l'univers du studio, autant alors piocher sans vergogne dans les modes du moment et tout balancer à l'écran. Adieux donc la finesse des costumes et décors d'autrefois, voici venir le film d'arts-martiaux kung-fu avec ses costumes à paillettes, ses touffes capillaires gracieuses, sa boule à facette géante et sa musique synthétique parsemée de rock 80's. Un résultat assez particulier, daté mais ironiquement charmant, auquel il est important, mine de rien, d'ajouter un vilain méchant paradant dans son harem de strip dans un costume noir et casquée, version pauvre de Dark Vador. Il faut dire que comme l'affirme à coup de dessins manga légèrement animés le générique d'ouverture, Demon of the Lute est un divertissement conçu pour un public familial, voir très jeune, où le monde des arts-martiaux tournerait presque à la pure fantaisie, au conte de fée orientaliste, avec ses lutins pas bien méchants, ses héros immatures mais courageux et surpuissants et quelques adversaires costumés (ninja masqués, homme oiseaux, guerrier élastique...) qui ressemblent à s'y méprendre à la troupe d'un sentai des 70's. Tout cela sans compter les gros clins d'œil au manga de Doreamon alors très en vogue à Hong-Kong, jusque dans le nom d'un gamin servant souvent de moteur à l'action. Pas forcément aussi électrisant que Holy Flame Of The Martial World, Demon of the Lute vaut tout de même le détour avec son esprit enfantin et enjoué, et laisse apercevoir à nouveau un versant plus que méconnu de la vénérable Shaw Brothers.





