1999. Alors que le studio Ghibli se remet à peine du succès foudroyant de Mononoke Hime, dernier chef d'oeuvre en date du Maître Miyazaki, son compère Isao Takahata décide lui de partir dans une direction totalement différente. Mononoke était violent et épique, le sien sera donc drôle et léger. Très enfantin même, d'un point de vue esthétique. Une décision surprenante qui va aboutir à l'un des films les moins rentables de Ghibli et de son auteur.
Lorsqu'on pense à Isao Takahata, un titre s'impose d'emblée : Le Tombeau des Lucioles. Un drame d'une rare intensité qui a marqué au fer ses spectateurs et amené l'animation dans des contrées encore inexplorées à l'époque. Voire dans ses derniers retranchements, tant les personnages de Celluloïd nous semblent humains et leur funeste destin traumatisant. C'est peut être pour cette raison que les futures réalisations de Takahata vont peu à peu se vêtir d'atours beaucoup plus légers, humoristiques même. Tel Pompoko, qui en 1994 n'oublie pas de nous faire rire derrière sa fable écologique. Et alors que Miyazaki s'engouffre lui dans des récits de plus en plus complexes et aux techniques d'animation les plus innovantes (ce qui aboutira au chef d'oeuvre absolu Princesse Mononoke) le chemin de son compère aboutit à l'adaptation d'un manga à l'esthétique résolument simpliste. Ses détracteurs parlent alors de fainéantises. Ce qui n'est peut être pas si éloigné de la vérité tant Takahata semble y parler de ce défaut comme d'une vertu (ce qui était déjà un peu le cas dans Pompoko).
Adapté d'un manga de Hisaichi Ishii, Mes Voisins les Yamada raconte, sous forme de courtes saynètes (à la manière des comics strips américains dans le manga) le quotidien d'une famille japonaise comme les autres. A ceci près que tous ses membres (les deux parents, leurs deux enfants et la grand-mère) sont à contre-courant d'après peu près tout ce que la culture japonaise peut compter d'injonctions. La valeur travail, qu'elle soit professionnelle ou bien scolaire, la place occupée traditionnellement par chaque membre du couple, la sagesse des anciens... tout y est moqué et décalé. Le père passe son temps à procrastiner, la mère a essayé d'échapper à ses tâches ménagères et la grand-mère est têtue comme une mule ! Et les enfants dans tout ça ? La vraie sagesse vient de la petite Nonoko (véritable héroïne du manga), narratrice qui porte un regard innocent mais éclairé sur sa famille. Dans l'un des sketchs les plus réussis du film, elle est oublié par les Yamada en plein milieu d'un centre commercial. Ses parents se rendent compte de son absence sur le chemin du retour, où ils passeront tout leur temps à s'engueuler dans la voiture. Pendant ce temps là, la petite fille est persuadée que ce sont ses parents qui se sont perdus et en profite même pour aider un plus petit qu'elle qui se retrouve lui aussi seul sans sa maman.
Derrière les dessins kawai et les éléments de décor réduits à leur minimum (le blanc est la couleur dominante du long métrage) on devine évidemment une critique de la société japonaise et de ses traditions parfois un peu trop lourdes à porter. Takahata insiste donc sur les défauts et les décalages de ses personnages pour mieux les transformer en qualités dont un monde un peu trop sage et trop sérieux à cruellement besoin. Un léger parfum subversif qui vaudra peut être au film de ne pas recevoir l'accueil dont bénéficiait jusque là chaque nouveau film du studio de Totoro, il est vrai souvent très respectueux des traditions et des valeurs de leur pays d'origine. Explication qu'on peut aussi trouver du côté du rythme du film, qui peut souffrir d'une succession de sketches plus ou moins réussis et d'un manque de matière les liant véritablement entre eux. Mais le rythme et la matière, Takahata va les chercher ailleurs. Dans une magnifique scène d'intro débordante d'énergie, dans une douce poésie prête à surgir à tout moment, que ce soit sous la forme de haïku ou d'hommages rendus à ses Maîtres (comme Hokusai) et surtout dans les partitions légères d'Akiko Yano, qui accompagnent les facéties des Yamada.
Au final, Mes Voisins les Yamada ne ressemble à aucun autre Ghibli et même à rien d'autre qu'à lui-même mais traduit du savoir-faire d'un Maître du genre qui n'a cure des conventions et du diktat de l'animation, fusse-t-il décidé et imposé par le grand Miyazaki lui-même.






