Parfois, le cinéma dépasse allègrement la fiction, ça arrive. Coincée dans les livres d'histoires consacrés à la Seconde Guerre Mondiale comme une anecdote entre le débarquement et la chute du troisième Reich ; le récit de ce soldat japonais refusant de croire à la reddition de son pays est enfin porté à l'écran par... un réalisateur français.
Hiro Onoda. Pas sûr que ce nom parle à beaucoup de personnes. Pourtant il fût le plus célèbre des "stragglers" (soldats japonais restants) en poste sur l'île de Lubang dans les Philippines. Il refusa de croire à la fin de la guerre et à la capitulation de son pays en 1945. Pensant à une manipulation de l'Occident, il continue sa guerre avec trois autres soldats allant jusqu'à tuer des philippins, habitants de l'île avant qu'il ne soit retrouvé et que son supérieur de l'époque vienne officiellement lui ordonner de déposer les armes... 29 ans plus tard. Presque aussi incroyable que son histoire, il aura fallu un cinéaste français, en quête d'un sujet d'aventure pour son prochain film, pour donner vie à cette histoire sur grand écran. Forcément, trouver des financements français pour un film en langue japonaise n'est pas chose aisée. Pour cela, la production devra solliciter des fonds en Belgique, Allemagne, Italie et Japon pour mener à bien ce projet. Les pays qui formaient naguère la triple entente, collaborent à présent pour le bien du septième art. Joli.
10.000 nuits dans la jungle, c'est quand même long. Résumer 29 ans de vie en moins de trois heures est un pari qu'Arthur Harari remporte haut la main. Entre flash-backs et ellipses, il arrive à rendre fluide un récit basé sur trois décennies. Onoda, son personnage central, n'est jamais jugé, au contraire, le spectateur en éprouve de l'empathie. Entre son endoctrinement de jeune soldat et sa fidélité aux autorités, on le suit dans cette guerre aussi physique que psychologique. Pas facile de trouver le bon équilibre. Le réalisateur de Diamant noir, s'appuie sur des acteurs impeccables de sobriété et de retenue. On les suit sur deux grandes étapes de leur parcours. Leur arrivée sur l'île et leurs dernières années d'ignorance. Pour l'honneur de la patrie, ces soldats abrutis par des années de propagande refusent d'abdiquer pensant à une ruse de l'ennemi. Ce drame d'une vie ne prendra fin qu'avec l'apparition de leur capitaine, figure paternaliste confirmant l'armistice. Cette situation nous pousse au raisonnement. Engoncé dans nos zones de confort où nos réalités semblent acquises, les remises en question comme celle de ces personnages peuvent nous interroger. Nos vérités et convictions si elles ne sont pas partagées sont t'elles forcément les bonnes ? Harari, sur le sujet, là aussi reste soft. Jamais larmoyant, il expose tout simplement les faits, à grands renforts de profondeur de champ, ses rapports à la nature renforcent les (des)illusions de ses interprètes autant qu'elles les éloignent du monde dit civilisé. Malick n'est pas loin. On ne peut que comprendre le destin et les intentions d'Onoda, ému par la privation de sa liberté, de ses espérances, de sa vie. A 52 ans, il pouvait enfin commencer à vivre. Il le fera en élevant du bétail au Brésil.
En toute simplicité, Arthur Harari n'a pas besoin de forcer l'émotion pour embarquer le spectateur. L'histoire se suffit à elle-même. Onoda nous interroge, jusqu'où notre aveuglement peut-il nous éloigner de la réalité ? Chacun est libre d'y réfléchir. C'est aussi ça la magie du cinéma.




