Trois ans après le succès de l'adaptation au cinéma de la pièce de théâtre A Few Good Men, thriller judiciaire et militaire où un Jack Nicholson gonflé à bloc tentait de bouffer du Tom Cruise à coups de répliques cultes (« YOU CAN'T HANDLE THE TRUTH ! »), Rob Reiner et Aaron Sorkin remettent le couvert pour une comédie romantique qui n'en est pas vraiment une, évocation sincère de l'idéalisme cher à Frank Capra et prémices de la série culte The West Wing.
Avec l'échec sans appel de L'irrésistible North au box office américain au mois de juillet 1994, Rob Reiner sent pour la première fois le vent tourner. Fils du comédien et cinéaste Carl Reiner et figure populaire de la sitcom 70's All In The Family (ne l'appelez plus Meathead!), Reiner junior entame en 1984 une nouvelle carrière derrière la caméra et enchaîne les films cultes. La Rolls du mockumentary Spinal Tap, le conte méta Princess Bride, la comédie romantique définitive Quand Harry rencontre Sally, deux adaptations à haut risque de Stephen King, Stand by Me et Misery (Oscar à la clé pour Kathy Bates), et le courtroom drama cinq étoiles Des hommes d'honneur. Excusez du peu. Quant à la comédie Garçon choc pour nana chic qu'il signe en 1985, son succès en salle suffit à excuser la modestie de cette péloche pour ados, aujourd'hui totalement oubliée. Il aura donc suffi de coller un Bruce Willis au creux de la vague dans un costume de lapin rose géant (!) et d'en faire l'ange-gardien d'Elijah Wood pour que la critique, souvent plus inspiré par l'échec que par la réussite, puisse enfin tailler un costard à Rob Reiner. S'il ne mérite pas forcément l'étiquette de « pire film de tous les temps » qu'une poignée de plumes courroucées tentèrent de lui épingler à l'époque, L'irrésistible North incite Reiner à se replier vers des valeurs sûres.
D'où Le Président et Miss Wade, à nouveau confié au talentueux scénariste et dramaturge Aaron Sorkin et où se mêlent des éléments de fable politique et de comédie romantique, le tout servi par un casting en or massif et alors que l'aura d'un certain Bill Clinton, 42ème locataire de la Maison Blanche, n'a pas encore été durablement ternie par l'affaire Monica Lewinsky et son cigare mal placé.
À son arrivée à la Maison Blanche pour sa première réunion de travail, la fougueuse Sidney Wade cite le nom de Frank Capra à un agent de sécurité, lequel, ravi, énumère quelques classiques du réalisateur de La Vie est belle, dont le très politique Monsieur Smith au Sénat. L'échange, à priori anodin, résonne pourtant comme une note d'intention pour le réalisateur et son scénariste. Usant du scope pour mieux souligner la grandeur des enjeux qui animent l'épicentre de la vie politique d'une nation et l'effervescence de ces antichambres du pouvoir, Reiner exige également de John Seale, son directeur de la photographie, de ne pas lésiner sur la couleur et de composer des cadres classiques et chaleureux. Solide et précise (« à l'ancienne », diront les nostalgiques du bon vieux temps), la mise en scène de Rob Reiner calque son rythme sur celui des comédies de Capra ou même d'Howard Hawks, le débit soutenu des dialogues de Sorkin forçant la comparaison avec le style du réalisateur de L'impossible Monsieur Bébé. Plus gonflé qu'il n'y paraît, le choix de confier le rôle de ce président démocrate et réformateur à Michael Douglas - Gordon Gekko himself, nom d'une stock option ! - se révèle sacrément payant, le fils de Kirk étant en fin de compte on ne peut plus à l'aise dans les pompes d'un James Stewart 90's. Face à la star, Martin Sheen, Michael J. Fox (plus très loin du Mike Flaherty de Spin City) et Richard Dreyfuss font feu de tout bois. Plus discutable est l'interprétation inégale d'Annette Bening, loin d'être crédible en avocate supposément redoutable.
De son côté, Aaron Sorkin s'amuse à concilier romance et politique, le premier aspect servant essentiellement à apporter de l'eau au moulin du second. Sans être traitée par dessus la jambe, l'histoire d'amour entre le président Andrew Sheperd (littéralement « le berger », la métaphore est limpide) et Sidney Wade ne cherche pas non plus à révolutionner les codes du romantisme sur grand écran, même si la réflexion sur la réalité des prouesses sexuelles de l'homme le plus puissant du monde donne lieu à un échange savoureux. En réalité, Sorkin en profite surtout pour épingler le pourrissement du débat politique avec un adversaire républicain attaquant le président sur sa vie privée et son cursus pour mieux noyer le débat de fond et l'action publique. Enfin, on retrouve le goût du scénariste pour l'envers du décor, les débats virtuoses et un idéalisme franc du collier et opposé à un cynisme grandissant.
Sans atteindre les cimes de Des hommes d'honneur, Le Président et Miss Wade constitue une belle entame pour la seconde partie de carrière de Rob Reiner, lequel prendra encore quelques risques avec Les Fantômes du passé, beau drame judiciaire sur le racisme institutionnel du Sud, avant de se replier définitivement vers des péloches plus convenues et anonymes.