Longtemps indisponible en vidéo, l'épopée historique de Warren Beatty se refait une beauté. L'occasion idoine de s'immiscer au début du siècle dernier le temps d'une intrigue politico-romantique qui nous transbahute du quartier bohème de Greenwich Village jusqu'aux ruelles d'une Petrograd prise sous le feu de la Révolution Russe.
Inspiré de faits réels, le scénario suit le parcours impliqué de John Reed, un journaliste clairement classé à gauche. Nullement un démocrate, équivalent chez nous d'un Juppéiste au volant de sa R25 Baccarat. Non, non. Plutôt un pur bolchevique adepte, comme dirait ce bon OSS 117, «des anoraks et des boots à fermeture éclair». Jusqu'à sa mort prématurée causée par le typhus en 1920, l'homme couvrit la révolution mexicaine et suivit de très près l'avènement des idéaux communistes aux États-Unis comme en Russie. Témoin engagé de la Révolution d'Octobre, il en tirera le fameux ouvrage Dix jours qui ébranlèrent le monde. Un grand œuvre qui fait de lui le seul et unique citoyen américain inhumé au Kremlin. Un peu comme si Bernard Tapie était enterré sous la pelouse du Parc des Princes.
Fresque épique plus ou moins inspirée du cinéma de David Lean, Reds est à l'image de son scénariste, réalisateur et acteur principal. Loin d'être raté, plutôt élégant, solidement documenté et subtilement interprété, le film ne séduit qu'à moitié. Pourquoi cela? Car il a les défauts de ses qualités. En vérité, Warren Beatty a toujours été difficile à cerner. Il fut le «golden boy» du Hollywood hybride des Sixties & Seventies. Héraut de cinéastes prestigieux à l'instar d'Elia Kazan (La Fièvre dans le sang), Arthur Penn (Mickey One et Bonnie and Clyde), Alan J.Pakula (À cause d'un assassinat), Hal Ashby (Shampoo) ou encore Robert Altman (et son sublime John McCabe). Il fut aussi et surtout un play-boy convulsif, détenteur d'un palmarès de conquêtes féminines qui ferait pâlir de gêne Julio Iglesias voire même Francky Vincent. Cette réputation de lover tirant sur tout ce qui bouge lui a longtemps porté préjudice. Et même si Reds constitue l'une des apogées artistiques de Beatty, le long-métrage conserve une petite saveur d'inachevé.
Il y a pourtant plein de choses intéressantes dans Reds. Le traitement thématique déjà, avec l'incursion d'authentiques témoignages et cette description inspirée de l'intelligentsia de l'époque: on y croise l'anarchiste Emma Goldman, l'écrivain Max Eastman et le dramaturge Eugène O'Neill (Prix Pulitzer et Prix Nobel de littérature) campé par Mr Jack Nicholson en personne. D'autres comédiens de renom viennent compléter le tableau. Notamment Paul Sorvino (futur Paulie des Affranchis), excellent en militant transalpin. Et Gene Hackman, fabuleux comme d'habitude, même si on ne l'aperçoit que quelque minutes à l'écran. Mais bien qu'évoqués, les grands bouleversements idéologiques ne constituent pas à proprement parler le cœur du film. Nous les abordons en coup de vent, quelque peu subrepticement. Les véritables enjeux sont d'ordre sentimentaux. Et c'est bien la relation entre John Reed et sa compagne Louise Bryant qui constitue le clou du spectacle. À ce titre, la pièce maîtresse de Reds demeure Diane Keaton. Inoubliable dans les deux premiers volets du Parrain, irrésistible chez Woody Allen, elle étoffe avec Reds toutes les palettes de son jeu et s'impose de loin comme le personnage le plus émouvant du film. Son incarnation de Louise Bryant, femme tiraillée par des désirs contradictoires et emportée malgré elle dans le tourbillon de la vie, est remarquable.
Pour le reste, Reds se suit sans déplaisir (même s'il aurait mérité d'être raccourci) mais il ne laisse pas une trace indélébile. Nous sommes plus proches du joli livre d'images typique des œuvres dites à Oscars que du Cuirassé Potemkine. Beatty remporta d'ailleurs la statuette du meilleur réalisateur mais se vit rafler celle du meilleur film par Les Chariots de feu. Or les deux longs-métrages boxaient dans la même catégorie, annonçant la déferlante de mastodontes académiques pétris de vertus soit-disant universelles façon Gandhi ou Le Choix de Sophie. Pour la petite anecdote, Reds fut même dévoilé à Ronald Reagan en projection privée à la Maison Blanche. C'est dire. Non, si l'on devait lui trouver un jumeau maléfique, ce serait pour sûr La Porte du Paradis de Michael Cimino. Grand film maudit qui coula un studio et précipita la chute de son auteur, il traitait lui-aussi de l'éternelle lutte des classes. Mais avec une maestria opératique, une flamboyance mélancolique et un sens de l'évocation le hissant bien au-delà de toute espérance. Aucun Oscar à brandir. Juste un regard sur l'histoire des hommes parmi les plus perçants de l'histoire du cinéma.





