Le dada de Jaume Collet-Serra c'est de nous faire croire qu'il va sortir une grosse prod horrifique aussitôt vue aussitôt oubliée pour nous surprendre avec une manière bien à lui de gérer le suspense à l'écran. Souvenez-vous du mésestimé La Maison de Cire qui loin d'être un slasher imbittable s'était avéré un très respectable petit film d'horreur.
Pourtant Esther vise plus haut. Déjà pas de Paris Hilton au casting mais une Vera Farmiga (Les Infiltrés) en grande forme. La blondinette aux grands yeux tristes incarne une mère traumatisée par une fausse couche qui tente d'agrandir sa petite famille en passant par l'adoption. Tout semble aller à merveille lorsqu'elle et son mari rencontrent Esther, une petite perle d'orpheline, vive et talentueuse tout droit sortie des petites filles modèles. Il faut croire que ni Vera Farmiga ni son époux n'ont jamais vu le moindre film d'horreur tant la petite Esther se comporte comme l'archétype du gamin maléfique : je suis parfait, je parle pas, je bouge pas et mon sourire glacerait le sang de tout bon chrétien à dix kilomètres à la ronde. Non, ils veulent y croire. Nous, un peu moins. Pourtant c'est à eux que la suite donnera raison. Passé le choc de la remarquable première scène, celle du cauchemar où la mère revit sa fausse-couche en mode Avoriaz, le traitement de l'image redevient un peu plat. Jusqu'à ce qu'on ne sait comment l'ambiance de cette maison (isolée bien sûr) livrée aux colères et aux caprices de cette enfant pas comme les autres nous captive et nous garde en haleine jusqu'à la fin.
Bon d'accord « un film Estherrifiant » ça fait bien sur l'affiche, mais on ne peut pas franchement dire que la terreur nous cloue au siège. Cependant, les pubs disent vrai : « On adore haïr Esther ». C'est même exactement le but du film. À aucun moment Collet-Serra ne fait planer de doute sur les intentions d'Esther. Cette môme est une garce, point. Sauf qu'on ne saurait dire si ce qui nous agace le plus est la machination infernale qui se trame dans son esprit tordu ou le refus du père à voir le démon qu'il a fait entrer chez lui. Résultat : un public à fond derrière la maman qu'Esther persécute, le regard rivé à l'écran, prêt à exploser le tensiomètre dès que le Lucifer à couettes approche de son angélique sœur adoptive ou d'un objet tranchant. Car si on déteste d'emblée Esther, on est également immédiatement séduits par cette petite famille si crédible, ce gentil couple pas forcément sans histoires mais plein de bonne volonté, et ces enfants tellement humains. Entre le grand frère trop turbulent pour que sa parole tienne la route contre celle d'Esther et la petite sœur sourde et trop terrifiée pour témoigner de ses méfaits, le spectateur se sent le devoir de les soutenir et de devenir le troisième témoin. Un vrai suspense auquel on ajoute encore l'avidité d'apprendre qui est réellement Esther grâce aux indices que le réalisateur distille au compte-goutte jusqu'à la fin.



