Deux ans après avoir lancé la mode du film gothique italien avec Le Masque du démon, Mario Bava revient, pour la dernière fois, au noir et blanc avec La Fille qui en savait trop. Une aventure policière ludique mais photographiée comme thriller hitchockien qui inaugure sans le vouloir les formes du célèbre giallo.
Une nouvelle fois produit au sein de la Galatea, mais aussi pour le compte de la AIP de Samuel Z. Arkoff, La Fille qui en savait trop devait être au départ qu'une simple et charmante comédie romantique. Sous l'impulsion de Mario Bava, mais aussi de son coscénariste Sergio Corbucci, le projet va cependant rapidement traîner ses guêtres du coté du psycho-thriller initié par le Psychose d'Alfred Hitchcock et largement exploité par tout un pan de la Hammer (encore et toujours). D'où certainement le choix d'un noir et blanc suave et élégant, mais aussi une film au deux visages, le réalisateur préservant les séquences humoristiques et décalées voulues par les américains (ce sera The Evil Eye), mais confectionnant dans le même temps un bien plus sérieux et réaliste montage italien. C'est ce dernier d'ailleurs en l'occurrence qui approche véritablement sa trame avec le plus de pertinence et d'unicité, transformant son enquête gentiment délurée d'une touriste américaine dans la Rome de la Dolce Vita, en voyage déroutant et limite cauchemardesque dans les ombres qui habitent la cité de lumière. Des séquences ensoleillée affichant des haut lieux touristiques charmants et une foule bigarrée et chaleureuse, le film laisse place la nuit à des rues désertes, sombres et admirablement sculptées par des noirs tranchés.
C'est sur l'une de ces places d'ailleurs que la charmante Nora se fait agresser par un pickpocket avant d'assister impuissant au meurtre d'une jeune femme. Sa crédibilité sera mis en doute, mais aidé par le gentil docteur Marcello Bassi, l'héroïne un brin naïve va peu à peu remonter le fil et découvrir une série de meurtres dont elle pourrait détenir la clef. Un film d'enquête qui se suit avec plaisir, relativement décontracté et efficacement rythmé en indices et révélations, mené par un couple plutôt sympathique, mais qui reste surtout passionnant pour sa mise en place de codes, de schémas et de figures qui deviendront l'apanage du Giallo. Le contexte contemporain, l'inscription dans une citée typiquement italienne, l'héroïne témoin et devenant détective en herbe, les effluves psychanalytiques qui explicitent les motivations du tueur autant que mettent en doute la raison de l'héroïne, les relents morbides et dérangés et ce crime fondateur, habilement chorégraphié, qu'il faudra inlassablement revisiter, décortiquer, pour en découvrir la réalité... Si Dario Argento s'est toujours défendu d'avoir vu La Fille qui en savait trop, ce dernier contient pourtant en germe tous les ingrédients des futurs L'Oiseau au plumage de cristal et Les Frissons de l'angoisse. De son coté Mario Bava a poursuivi son affirmation des contours du genre avec le sketch central de Trois visages de la peur et bien entendu le chef d'œuvre maniériste Six Femmes pour l'assassin avant de le mettre à mort brutalement en 1971 avec le proto-slasher La Baie Sanglante. Cette faculté à continuellement bouleverser et transformer le visage du cinéma de genre transalpin reste certainement l'une des grandes forces de l'œuvre de Mario Bava.




